Convention nationale des Correspondants défense


Intervention de M. Yves le Malec, Directeur du Centre d’histoire et de mémoire du Nord-Pas de Calais à Saint-Omer, le 25 septembre 2005 à Vincennes, sur le travail de mémoire et l’intérêt de sensibiliser la jeunesse aux commémorations.

 

Comment l’image peut-elle être mobilisée au service de l’histoire, de la mémoire et de la compréhension ?

Au moment de la célébration du 60e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, disparaissait le philosophe Paul Ricœur. Une grande partie de son œuvre a été consacrée aux rapports entre la mémoire et l’histoire et, en particulier, aux liens qu’entretient la nation avec sa mémoire collective. Cette mémoire collective est à ses yeux un élément essentiel pour un grand peuple démocratique comme la France. Car elle assure sa cohésion, de génération en génération. Elle lui fournit des bases solides pour se projeter dans l’avenir. Il est révélateur de constater que Paul Ricœur, dans ses travaux, préfère utiliser l’expression travail de mémoire plutôt que devoir de mémoire. Pourquoi ? Parce que, dit-il, cette expression est dynamique, elle oblige à associer la population et les jeunes en particulier et d’autre part parce qu’elle évite de figer la mémoire collective, puisque celle-ci, vous le savez, évolue au fur et à mesure que notre société se transforme. Or, il faut bien avoir conscience que l’année 2005 n’est pas une année comme les autres. Il va se produire, c’est inévitable, un basculement de la mémoire vers l’histoire, parce que la génération des témoins, des acteurs de la seconde guerre mondiale progressivement vont disparaître et perdre le poids qu’elle avait au service de la nation française. Et donc la question se pose dorénavant d’assurer une transmission solide de notre mémoire collective, de cette mémoire des conflits auxquels la France a participé au XXe siècle.

Cette question se pose à tous et en particulier aux enseignants. Bien sûr, les médias jouent un rôle de premier plan en la matière, mais un rôle qui est, pour l’essentiel, limité aux adultes amateurs de documentaires ou d’articles historiques. En ce qui concerne les jeunes, il est évident que c’est l’école qui est en première ligne. Nous savons que cette école est actuellement mise à rude épreuve, par des transformations sociologiques qui n’ont jamais existé dans notre histoire passée. Donc, on sent qu’elle éprouve une certaine peine à assurer ce travail de mémoire. Pourtant le contexte est favorable. Depuis quelques années, notre pays a été capable d’exorciser les démons de son passé récent. Il est capable d’aboutir à une analyse historique rigoureuse, écrite, de son histoire du XXe siècle, sans tabous, sans préjugés, sans naïvetés. Nous sommes donc en mesure de transmettre aux jeunes générations une information historique fiable qui est dégagée de présupposés idéologiques, libérée de la langue de bois et qui refuse surtout toute forme de communautarisme. Car ne faut pas oublier que la mémoire collective du peuple français est à l’image de la République, elle est une, indivisible et laïque. Plutôt que des principes généraux, je voudrais donner aux correspondants défense ici présent, quelques exemples d’outils pédagogiques en train d’être développé dans la région Nord-Pas-de-Calais par un collectif qui associe la DMPA, l’ONAC, l’Académie de Lille, les DMD et le Centre d’Histoire et de Mémoire du Nord-Pas-de-Calais. Il ne faut pas oublier que l’évolution de la mémoire administrative donne un rôle de plus en plus important aux collectivités territoriales, départements et régions. Deux axes guideront cette action. Tout d’abord, il faut inciter à la visite des musées d’histoire et des lieux de mémoire. Car le contact est tactile avec le passé. Dans beaucoup de villes de France, on trouve des citadelles où furent fusillés des gens de 20 ans pendant la seconde guerre mondiale. Et là s’établi un contact qui n’a rien abstrait entre le présent et le passé.

Le deuxième axe qu’il nous faut mener, c’est, bien sûr, de prêter une grande attention aux commémorations. Non seulement par la participation, mais aussi par le sens que l’on veut leur donner. Les correspondants défense ici présents aujourd’hui, savent qu’en la matière, cela peut aller du lamentable au remarquable. Cela tient à l’engagement inégal des collectivités. Mais cela tient aussi à l’absence ou à l’existence d’une préparation dans le milieu enseignant, dans les écoles, les collèges, les lycées. De même que visiter un musée sans préparation n’a aucun intérêt, de même, se rendra une commémoration sans qu’elle soit expliquée et mise en perspective, peut se révéler contre-productif. En effet, il faut à tout prix éviter que la participation des enfants aux commémorations soit quelque chose de formel ou de rituel. Il faut qu’il y ait un sens à cette présence. Il faut d’abord rappeler et cela a été souligné par plusieurs généraux étant intervenu dans les débats cet après-midi, que les anciens combattants d’aujourd’hui ont été, par définition, les jeunes d’hier et que, quand on regarde les stèles de 1914-1918 ou les mémoriaux de 1939-1945, ce sont des gens de 18 à 25 ans qui, pour la plupart, ont donné leur vie en sacrifice. Et cela permet également d’établir un lien avec les parents et les grands-parents, ne serait-ce que, par exemple, en donnant un sens, une vie, à ces listes qui figurent sur les monuments aux morts, lesquels sont, avec l’église et la mairie, les seuls bâtiments que l’on trouve à la fois dans les 36 600 communes de France. On peut faire appel, pour donner une vie à ces noms, aux sites remarquables de la DMPA – Mémoire des hommes. Savoir qui est ce Dupont, qui est ce Durand, quel âge avait-il, quelle était sa profession, où et quand a-t-il disparu. Ce travail de mémoire s’adresse aussi aux parents, car les enfants sont aussi, d’une certaine façon, des porteurs d’information.

Enfin pour conclure, je voudrais souligner que cette participation au travail de mémoire, concerne tous les enfants garçons et filles de France, de toutes origines. Cette mémoire est celle de tous les Français d’aujourd’hui, parce qu’il ne faut pas oublier que la France est depuis plus d’un siècle le plus grand pays intégrateur de la planète. Cela a été souligné tout à l’heure par le général Thorette. C’est peut-être aujourd’hui le vecteur le plus fort d’intégration qui reste au sein de la société française. Il est donc utile de rappeler aux jeunes issus de l’immigration que la mémoire collective rend toujours hommage, sur un pied d’égalité, à tous ceux qui ont perdu la vie pour les valeurs républicaines, que ce soient les troupes coloniales de la Grande guerre, que ce soient les Sénégalais tués en 1940 par les unités nazies, que ce soient les Républicains espagnols pris dans les stalags et transférés à Mauthausen, au même titre que les Français dits de souche.

Cela permet de dire que les commémorations et le travail de mémoire sont une démarche d’avenir, une marque de confiance dans les valeurs fondamentales de notre pays, qui sont aussi celles de l’Union Européenne : la liberté, la justice, la responsabilité individuelle et le respect de l’État de Droit.


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