Menaces criminelles : permanences et évolutions


Les menaces criminelles : permanences et évolutions
Les rendez-vous du correspondant défense de la Mairie de Paris.
École militaire, le 21 février 2013.

Conférence de monsieur Xavier Raufer, Directeur des études – Département des recherches sur les menaces criminelles contemporaines – Université Paris II-Panthéon Assas

1Caroline Gorse-Combalat, présidente de l’Association IHEDN région Paris-Île de France.

Nous accueillons Monsieur Xavier Raufer, pour ce deuxième rendez-vous des correspondants défense représentée par Madame Odette Christienne, en partenariat avec la Mairie de Paris, pour la diffusion de la culture de Sécurité et de Défense, son rayonnement dans la Réserve, Amphi Des Vallières 02 - Trse faire rencontrer les élus, les correspondants défense, les auditeurs IHEDN et toute personne intéressée par ces questions. Merci à Xavier Raufer, criminologue, expert international sur la détection, l’observation et l’analyse de ces menaces criminelles contempo-raines, auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité, au terrorisme et à l’insécurité urbaine, de venir nous parler de la permanence et de l’évolution de ces questions.

2 Monsieur Xavier Raufer. Merci à madame Odette Christienne, parce que ces rencontres sont mutuellement importantes, car après l’exposé, les questions de l’auditoire nous ramènent au réel, aux vrais problèmes tels qu’ils sont vus par les professionnels et leur expérience.

D’abord, un rappel. La définition d’un chercheur, d’un expert, est qu’il n’a pas de motif ultérieur pour dire ce qu’il dit. Ce que je vais vous dire, n’est pas motivé par un intérêt personnel, politique ou autre. Il y a un certain nombre d’évolutions frappantes de ces problèmes, des évolutions comme il n’en a peut-être Amphi Des Vallières 04 - Trpas eu depuis cinquante ou soixante ans. Ces bouleversements, il faut les détecter, voir les bourgeons, essayer de percevoir ce qui commence avant que les bourgeons ne deviennent des arbres de vingt-cinq mètres de hauteur. Ensuite, il faut vérifier, comparer, échanger des constatations auprès de multiples interlocuteurs dans de nombreux pays et ensuite on les rend publiques, non pas par intérêt personnel, mais parce qu’elles nous paraissent représenter la vérité et donc qu’elles sont importantes.

Elles sont importantes pour les personnes qui appartiennent à l’administration, à l’appareil d’État, ceux qui sont concernés au premier chef par ces phénomènes. Mais ces personnes, au cours des années, baignent dans une zone de confort administratif et ont en commun une sainte horreur du changement d’ennemi. Anecdote à propos du ministre de l’intérieur Raymond Marcellin, dans les années 1970. Ce ministre, fort d’un solide bon sens, a dû faire preuve d’autorité pour faire créer une cellule de lutte anti-terroriste par un Préfet qui, dirigeant la DST de l’époque et qui était obnubilé par l’espionnage soviétique. Il faut bousculer les certitudes intellectuelles et c’est ce que je vais faire maintenant. Car depuis deux ou trois ans et pour un horizon prévisible, maîtrisable, c’est-à-dire jusqu’à 2020, on voit à peu près clair.

Chacun, dans sa profession est capable de dire ce qui va probablement se passer dans les deux ou trois ans qui viennent.

À l’horizon 2020 et cela a déjà commencé, il y a deux événements énormes, deux courbes qui s’inversent. D’abord, l’absolu effondrement du terrorisme en Europe et pas seulement du terrorisme djihadiste qui est en train de disparaître. La source de ce que j’avance provient du seul organisme qui compile à la fois les attentats et les tentatives sérieuses, pour toute l’Union européenne, c’est Europol, avec un groupe d’experts qui compte un français (Alain Bauer), un allemand, un espagnol, un portugais… Ce groupe aide à piloter la recherche d’information et de chiffres pour le continent européen.

Dans les années 2006/2007, il y avait encore entre 700 et 1 100 attentats ou tentatives sérieuses dans l’Union européenne, un continent entier avec ses 27 pays et ses 500 millions d’habitants. À partir de 2008/2009 le terrorisme s’effondre. La dernière année entièrement comptabilisée, l’année 2011, recense 171 attentats ou tentatives sérieuses, dont 158 dans trois pays. Depuis 2009, jusqu’à 2011, il y a 24 pays où il n’y a plus de terrorisme du tout. Pour 2012, les premières tendances montrent des chiffres analogues, au niveau de l’année dernière, entre 170 et 180 et un pays où le terrorisme a disparu, c’est l’Espagne, car l’ETA a renoncé à la lutte armée. Pour les deux pays encore concernés, le Royaume-Uni et la France, les attentats résiduels se produisent essentiellement en Irlande de Nord et en Corse.

Ce qui fait que les chiffres peuvent varier du simple au double, d’une année sur l’autre, selon qu’il y a eu en Corse une nuit bleue de plus ou de moins. C’est-à-dire que sur 98 % du territoire de cet énorme continent qu’est l’Union européenne, le terrorisme a pratiquement disparu, notamment les attentats islamiques, les attentats provoqués ou commis par des organisations, des entités terroristes, des réseaux, des cellules, comme ce fut le cas, dans le passé, à Paris, Londres ou Madrid. En ce qui concerne les auteurs individuels, ce n’est pas encore gagné. Un attentat en 2009 pour l’Union européenne, trois en 2010, zéro en 2011 et zéro en 2012.

Donc, ce péril-là est en train de subir un énorme passage à vide, un véritable trou d’air, peut-être même est-ce la fin de cette vague. Car le terrorisme fonctionne par vagues : il y a eu, au début du XXème siècle, la vague anarchiste, nihiliste, qui s’est achevée avant la guerre 1914-1918 avec la bande à Bonnot, puis s’est poursuivie dans les années 1930 avec la vague d’origine balkanique « La Main noire », les Oustachis, une organisation terroriste méconnue, mais responsable de l’assassinat du roi de Yougoslavie et du ministre Barthou à Marseille en 1934. Après la seconde guerre mondiale, il y a un phénomène que l’on commence à comprendre, celui des groupes communistes combattants. Il s’effondre avec la fin de l’Union soviétique.

Ensuite, il y a eu les affaires provoquées par le conflit israélo-palestinien et puis la vague du terrorisme djihadiste, des petits groupes qui étaient enkystés depuis 20, 30 ou 40 ans, animés par le choc violent subi par le monde musulman en 1979, avec successivement la Révolution islamique d’Iran, l’occupation de la mosquée de La Mecque par des groupes salafistes fondamentalistes d’Arabie Saoudite et, à la fin de l’année, le soutien du régime par l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique.

Ces trois chocs ont réveillé énormément de virtualités pour entrer dans une période qui a culminé le 11 septembre2001, à la suite de laquelle on pouvait penser que la version fanatique de l’Islam subsisterait et qu’elle  prospérerait les armes à la main, par la lutte armée. Là aussi ce courant s’effondre. Et il est important de noter que ce mouvement s’effondre là où il a commencé. Car le terrorisme est une invention européenne, un mode de gouvernement pendant notre « Terreur » en France et qui ensuite s’est exporté. Sur 130 ans d’histoire du terrorisme, depuis les premiers attentats nihilistes, dans la Russie tsariste jusqu’à aujourd’hui, cela a été une spécialité européenne. Il est important que le terrorisme disparaisse là où il a commencé, cela a un sens.

Que cette version armée du salafisme qui a apparu dans la péninsule arabe soit en train de disparaître, signifie que l’idéal de Ben Laden est mort et bien mort.

On s’en rend compte lorsque l’on parle à des jeunes étudiants du Koweit, des Émirats ou de l’Arabie Saoudite de Ben Laden et du Djihad, on a l’impression de radoter. Internet leur a permis de contourner le rigorisme de l’État saoudien. De même que, lorsque l’on jette un caillou dans l’eau, cela fait des ronds, des gens en Afrique ou en Asie centrale n’ont pas encore compris que cette idéologie est à l’agonie.

On en trouve la preuve dans la littérature. Hölderlin dit « Ce qui demeure, les poètes le fondent ». Un des sommets de la littérature mondiale « Don Quichotte de la Manche » rend le mythe des Croisades ridicule lorsque se développe la Renaissance. Lorsque la littérature rend quelque chose ridicule, c’est que cela n’intéresse plus personne. De nos jours, deux films rendent les djihadistes ridicules. Il s’agit de « We are four lions » et « Vive la France« . Cela confirme que la tendance est violemment opposée à l’idéologie fondamentaliste.

De fait, l’élimination de Ben Laden par les Américains, n’a pas entrainé de réactions hostiles notables dans le monde. Dans le monde étudiant, les mouvements du type Brigades rouges ou Action directe sont passés de mode. Le poisson djihadiste n’a plus d’eau. Les terroristes n’ont pas disparu, mais l’idéal qu’ils avaient a sombré dans l’indifférence, sinon dans la révulsion de l’opinion publique musulmane, à la vue des exactions commises et diffusées par les réseaux de télévision.

Ces terroristes sur notre continent, que deviennent-ils ? Première indication, les enquêtes de gendarmerie ont découvert des stocks de produits contrefaits, de produits de luxe notamment. Les organisateurs de ces trafics étaient des « barbus », des gens connus pour être des islamistes. Après enquête, on constate que ces activités n’étaient plus pour la cause, mais pour eux-mêmes. Car le banditisme est le mode classique de dégénérescence de l’idéologie, avec tous les états intermédiaires. Le grand danger des années qui viennent, ce sont des parcours du type Merah, des individus passant de la mosquée à la boîte de nuit, pilotant des voitures lors de braquages, expérimenté pour déjouer les filatures, capable de s’autofinancer et de trouver des armes, par conséquent, au contraire de membres des Brigades rouges qui n’avaient aucune expérience de la violence militaire armée, ils sont donc infiniment plus dangereux que le terroriste habituel qui peut faire l’objet de mesures de rétorsion contre les États ou les organisations qui les soutiennent.

La seconde tendance est la nette, voire la forte diminution de la consommation de stupéfiants par les toxicomanes les plus jeunes, dans la tranche 16 à 24 ans, à l’échelle de l’Europe entière. Cette tendance à la baisse est confirmée, d’abord au Royaume-Uni en 2010/2011, puis par l’Office européen des drogues et de la toxicomanie, puis enfin par Europol en décembre 2012. Pourquoi ? Parce que les jeunes générations ont une conscience écologique telle qu’ils sont épouvantés par le côté « poubelle chimique » des drogues. Le haschich est inondé de pesticides extrêmement nocifs pour les poumons, sans parler des cigarettes de contrebande dont le tabac est parfois récolté en fraude dans la région de Tchernobyl et est donc radioactif.

Comme ce sont des informations qui circulent horizontalement par Internet sur les réseaux sociaux, la jeunesse est réellement sensibilisée, en constatant les dégâts occasionnés chez leurs idoles (artistes, mannequins), hors de toute leçon de morale qui pouvait avoir, comme dans le passé, l’effet inverse. Les nouveaux produits de synthèse les nouvelles formes de cannabis, ne viennent plus du crime organisé, mais de bricoleurs individuels.

L’ONU estime que le marché mondial de la drogue, au prix de gros, correspond à une valeur de 175 milliards de $ par an. La production de cannabis peut être artisanale, mais pas les stupéfiant, comme la cocaïne ou l’héroïne, car c’est de la chimie lourde. Admettons que si le marché se divise en deux parties à peu près égales, une moitié artisanale et une moitié contrôlée par le crime organisé, si on constate une diminution de 30 % de la consommation, cela équivaut à un trou dans la caisse de 27 milliards de $ par an. C’est intolérable, quand on voit l’impact d’une baisse de 5 à 10 %, par exemple dans l’industrie automobile.

La conséquence de cette baisse de la consommation, c’est la vague des règlements de compte à Marseille. En effet, lorsque le marché est en progression, on peut tolérer qu’un dealer vienne s’installer sur votre territoire.

Aujourd’hui, c’est la guerre sur des territoires qui rapportent moins et l’on sort la kalachnikov. L’autre conséquence, c’est que pour compenser cette baisse dans le monde, il faut trouver des métiers de remplacement. Il faut considérer que les criminels, ce ne sont pas des victimes, ce sont des pauvres. Cf. Le Livre de la Jungle. Si le chef ne peut plus nourrir la meute, il est éliminé et remplacé par un autre, plus efficace. La société des gens honnêtes est incitée à bien faire par les promotions, les décorations. Dans les milieux criminels, il n’y a pas de justice, de contravention, de peines de prison… On ne peut que casser la gueule ou tuer, ce qui est une incitation impérieuse.

Aujourd’hui, on voit des pans entiers des grandes sociétés criminelles se tourner vers des marchés de remplacement de celui de la drogue, d’autant plus que, quand on blanchit de l’agent, on en perd la moitié, sans parler des péripéties inhérentes aux trafics et à la répression.

Il faut donc des activités qui rapportent énormément d’argent, pour qu’à la fin il en reste un peu, après blanchiment. On voit aujourd’hui l’orientation vers trois nouveaux marchés criminels : la cybercriminalité, car elle peut rapporter infiniment plus que la criminalité physique (braquage de banque). La cybercriminalité, dont on parlait déjà il y a quinze ans, explose littéralement aujourd’hui.

Le second grand métier criminel de l’avenir, c’est la contrefaçon qui peut être dangereuse, car elle concerne les médicaments, les pièces détachées d’automobiles, d’avions, la nourriture (conteneurs de faux paquets de corn flakes de Kellogs, en provenance de Chine), les crochets des grues sur les ports, etc. D’après l’ONU, les consommateurs réguliers de stupéfiants dans le monde représentent environ 216 millions de personnes. Combien de gens se mettent des cosmétiques, se font des shampoings, se brossent les dents, prennent des médicaments ? Des milliards ! Donc, ces marchés de remplacement sont particulièrement juteux. Les contrefaçons de produits de luxe, c’est fâcheux pour les entreprises honnêtes, mais ce n’est pas dangereux pour la santé. Tandis que les contrefaçons dangereuses peuvent tuer. Il y a cinq ans, l’ONU avait évalué les contrefaçons dangereuses à 50 milliards de $, qui sont devenus 250 milliards en cinq ans. Chiffre à rapprocher des 320 milliards de la drogue.

Troisième orientation dans l’avenir, mais qui est déjà présente aujourd’hui, les piratages de paris sportifs. Comme des sites sur Internet ont été ouverts pour parier sur tout et rien, résultat, il y a un marché mondial licite et illicite de l’ordre de 200 milliards de $ par an. Ce qui chagrine les autorités chinoises actuellement, c’est que la population se détourne du site qui permettait de parier sur le championnat chinois. Or, ce qui est fâcheux, c’est que le sport était une activité permettant d’offrir un modèle pour sortir une certaine jeunesse de ses difficultés. Si le sport devient un repaire de truands, le remède est pire que le mal ! Plus proche de nous, ce sont les difficultés entre les États, la FIFA, le Qatar à propos de l’organisation de la coupe du monde de football. Ce sont des sources considérables de revenus qui relèvent des organismes internationaux, comme Interpol ou Europol, car, dans de telles activités, la scène du crime et les criminels peuvent être distants de 15 000 km. Les Chinois commencent à se soucier de la situation internationale, car chez eux, où leur culture les incite au jeu et aux paris, la situation est hors contrôle.

Voilà les nouvelles tendances : on a un peu peur que ces nouvelles tendances ne soient pas idéalement prises en compte dans les nouvelles rédactions du Livre Blanc de la Défense. Car il ne s’agit plus de réagir sur le prolongement des courbes. Les courbes sont nouvelles. Il y a des ruptures de paradigme, il y a des choses qui changent brutalement et ce n’est pas en regardant dans le rétroviseur que l’on arrivera à voir devant soi.

Une citation du grand philosophe Clément Rosset veut que « La Réalité est insupportable, mais elle est irrémédiable et donc, à la fin, la réalité finira par s’imposer ».

Voilà les nouvelles tendances, sur lesquelles personne n’est réellement en désaccord, car elles sont vérifiées par de multiples études et constats d’Europol et d’autres Agences officielles et elles vont nous accompagner pendant les six ou sept prochaines années.

Merci et maintenant je répondrai à vos questions, si je peux le faire.

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