Le Continuum Défense et Sécurité.


Le continuum Sécurité-Défense
Exposé du général Marc Watin-Augouard
Directeur du Centre de recherche de la Gendarmerie nationale
Présentation par Odette Christienne,
correspondante défense auprès du maire de Paris, le 18 12 2012.

Odette Christienne. Nous sommes réunis ce soir afin de pouvoir échanger, entre des correspondants défense, des réservistes citoyens, des militaires d’active, des auditeurs de l’IHEDN, des référents défense et des représentants des Trinômes académiques et avec comme partenaire, l’Association IHEDN Paris-Île de France.

Je passe la parole au du Centre de recherche de la Gendarmerie nationale qui a proposé ce thème du « Continuum Sécurité-Défense ».

Général Watin-Augouard. Le thème que je vais évoquer m’est cher. Je l’avais déjà évoqué dans un article de la revue Armées d’Aujourd’hui en 1992. Je voulais montrer qu’après la chute du mur de Berlin, nous avions cessé d’être dans un système binaire, avec une guerre froide opposant deux blocs et que nous allions entrer dans une guerre chaude qui va changer totalement la donne, aussi bien pour les forces armées que pour les forces responsables de la sécurité intérieure. Ce continuum était sous-jacent dans le Livre blanc de la Défense 2008. Mais je crois que ce continuum sera plus précisément explicité dans le Livre blanc en cours de préparation actuellement, car l’idée s’impose comme une réalité à travers trois faits saillants.

Le premier, c’est qu’il n’y a plus de frontières. Tout ce qui concerne l’extérieur, impacte l’intérieur. Dans le passé il y avait le front, les hommes qui étaient au front et derrière les civils disaient « Pourvu qu’ils tiennent ! ». Les deux groupes avaient peut-être la même communauté de destin, mais n’avaient pas la même implication. Aujourd’hui, nous sommes dans une globalisation qui fait que les fronts tombent. La conséquence, dont on ne parle peut-être pas assez, c’est l’apparition du fait maritime. C’est une donnée qui va modifier complètement notre organisation civilo-militaire, ce qui aboutira à un changement complet du continuum Sécurité-Défense, car les grandes questions et nos connaissances vont trouver la mer comme cadre d’expression.

Deuxième grand impact, la globalisation est un espace créé par l’homme, un espace sans frontières, un espace où le continuum Sécurité-Défense se manifeste de façon totalement nouvelle. Le fait saillant, par rapport à ce que nous avons connu autrefois, où le champ de la Défense et le champ de la Sécurité intérieure étaient des champs relativement séparés, autonomes, avec simplement une projection de la Défense dans la Sécurité intérieure. C’était au travers de la participation des forces armées au maintien de l’ordre, principe mis en œuvre à la Révolution française avec la réquisition de la force armée, en faisant abstraction de la participation des armées aux secours, ce qui a toujours existé. Mais, ce qui est nouveau dans le continuum Sécurité-Défense, c’est que le champ de la Défense et celui de la Sécurité intérieure désormais s’épaulent. On peut dire que Défense et Sécurité sont des sœurs siamoises, avec des parties qui sont propres, mais avec un tronc commun. C’est un élément essentiel. Les éléments qui sont propres ne sont pas comparables, ne sont pas juxtaposables. Entre la sécurité quotidienne mise en œuvre par le policier municipal ou le gendarme et l’action de dissuasion avec la force nucléaire stratégique, il y a un écart considérable.

Mais, nous avons un espace nouveau, un espace éminemment complexe, dont on a du mal à prendre l’exacte mesure, à qualifier ce qui est aujourd’hui hybride, androgyne, ni mâle, ni femelle, ni totalement Sécurité intérieure, ni totalement Défense. Et à l’intérieur de cet espace, on voit se développer des conflits, non plus entre des hommes, mais entre des entités qui peuvent être aussi riches, voire plus riches que certains États, disposant de moyens financiers absolument considérables. Et on voit apparaître non plus un ennemi, clairement désigné, pratiquant les règles de la guerre, mais un adversaire qui peut être un combattant, un rebelle, quelqu’un qui va prendre les armes contre vous et pourra se transformer, du jour au lendemain, de combattant en terroriste ou en criminel organisé, avec une capacité de mobilité et de mise en action tout à fait étonnante.

Ce champ d’intersection Sécurité-Défense est quelque chose d’assez mouvant, difficile à cerner et que pour traiter ces questions qui sont dans cette zone unique, il faut doser la capacité d’intervention, soit avec des moyens à dominante militaire, avec un accompagnement de moyens de sécurité, soit l’inverse.

Ce deuxième élément que je voulais évoquer, c’est le fait que dans notre système antérieur, nous étions dans un système binaire, analogue à un interrupteur électrique. Le courant passe ou il ne passe pas. Il n’y a pas de situation intermédiaire. Avec l’idée de continuum, on voit bien que cette approche binaire, de guerre ou de paix, est une notion qui n’existe plus et qui n’existera peut-être même plus jamais. Car la guerre, au sens juridique de guerre que l’on déclare, au sens de l’article 35 de la Constitution, on ne l’a pas vu à l’occasion des récentes interventions extérieures. Ainsi, même avec les interventions en Afghanistan, on est encore en paix. Du système binaire paix/guerre, on est passé à un système rhéostatique. Un rhéostat pouvant ajuster la lumière en fonction des besoins d’éclairage, nous sommes avec le continuum Sécurité-Défense, avec une sorte de rhéostat qui permet à chaque intensité de crise de pouvoir ajuster les moyens de réponse, avec une composition « chimique » qui soit la plus adaptée, donnant aux gouvernements la liberté d’action souhaitable.

Troisième élément, intéressant dans le continuum Sécurité-Défense, c’est une extraordinaire ouverture. Si l’on reprend l’ordonnance de 1959, on parle de défense du territoire, de son intégrité, de la défense des populations, des institutions républicaines. Mais si l’on prend le code pénal et que l’on regarde l’article qui concerne les intérêts des populations et les intérêts fondamentaux de la nation, on voit apparaître des éléments totalement nouveaux, comme l’équilibre du milieu naturel et de l’environnement, la protection de l’identité et du patrimoine culturel… Ce qui amène à traiter non seulement les aspects matériels du sol où s’exerce la souveraineté et sa population, mais aussi de protéger parallèlement les biens immatériels, qui sont véhiculés notamment sur le cyberespace.

Comment peut ainsi se manifester ce continuum ? Il se manifeste par le fait qu’il n’y a pas d’action, pas de phénomène extérieur à nos frontières qui n’ait pas immédiatement des conséquences. Par exemple, le conflit du Moyen-Orient et son implication sur le terrorisme, les conflits dans les Balkans, au Kosovo… Immédiatement, la conséquence de ces opérations a été l’action terroriste, la libération de toutes les mafias, de tous les groupes de la criminalité organisée… En 1994, des maires me disaient qu’il fallait renforcer les moyens de la gendarmerie, car cette nuit nous avons eu l’attaque de plusieurs bureaux de tabac. Je répondais que ce n’était pas la brigade qu’il fallait renforcer, mais travailler en amont, à la source. Car ceux qui ont « tapé » le bureau de tabac de votre commune, ce sont des membres de la mafia kosovare, qui ont été libérés par le conflit et qui viennent chez nous.

Cette projection, l’immédiate conséquence des phénomènes ou des opérations extérieures sur la sécurité intérieure, est évidente. Lors de la guerre du Golfe de 1991, la première chose qui a été faite est d’avoir renforcé notre stratégie à la fois à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nos frontières, pour éviter toute dérive des phénomènes de violence. Deuxième constat, c’est que nos opérations extérieures empruntent de plus en plus des modes d’action et des moyens qui relèvent habituellement du champ de la sécurité intérieure. Dans une opération du type Kosovo, il y a une première phase totalement militaire de reconquête du territoire, de la maîtrise de l’espace. Puis, après cette phase de tranquillisation, on commence à mettre en œuvre des moyens permettant de rétablir l’État de droit. Ces moyens, on l’a vu au Kosovo, en Bosnie, on le voit actuellement en Afghanistan, ces moyens sont ceux de la Gendarmerie nationale, qui viennent compléter l’action de l’armée. On est bien dans le continuum Sécurité-Défense. Un exemple du contrôle des foules, voire du maintien de l’ordre, c’est l’exemple du Kosovo où il y avait un pont séparant deux communautés. Là, avec l’armée de terre et la gendarmerie, il y a eu un travail de continuum avec les gendarmes le calot sur la tête et si la tension monte, on verra une bascule avec les unités de l’armée de terre formées au contrôle des foules. Cela montre bien qu’il y a un élément nouveau dans l’action militaire, c’est de se trouver dans une situation tendue, sans avoir pour autant l’autorisation de faire usage des armes.

 

Autre point intéressant et assez nouveau, que l’on voit en Afghanistan, c’est l’utilisation de la police scientifique, celle des empreintes ADN, pour identifier les rebelles, savoir où ils se trouvent, l’analyse de morpho systèmes, comme nous en avons dans nos aéroports et dans tous les points de passage obligés. Sur le champ de bataille, il y a une sorte de « policiarisation » de l’action militaire, non pas dans la phase première qui demande des actions de force, mais dans celle plus policière du contrôle des foules et de l’usage de la police technique et scientifique au profit de l’action militaire.

Troisième point, important dans ce continuum, c’est que l’on voit apparaître des opérations militaires qui ne sont pas à finalité militaire. C’est le cas des interventions sur le territoire maritime. Aujourd’hui, dans le canal de Mozambique, en Guinée, dans le détroit de Malacca, ce sont des points de menace majeure par la piraterie, non seulement pour les plaisanciers qui peuvent être imprudents dans ces zones, mais aussi pour notre armement naval, les bâtiments de pêche, les navires de commerce. Les moyens de la Défense entreprennent de véritables opérations militaires, comme l’opération navale ATALANTA. Elle a été décidée par les Nations Unies et l’Union Européenne, avec l’aide des marines européenne et de la marine française, pour des opérations qui ne sont pas des opérations de guerre, au sens habituel du mot, mais qui sont destinées à empêcher les criminels organisés de monter des opérations contre les navires. Et, lorsqu’on les arrête, de transférer ces pirates vers le Parquet de Paris. La finalité de ces opérations relève plus de la sécurité que l’opération réellement militaire.

Un autre exemple est l’opération en Guyane contre les orpailleurs clandestins. Ce sont des groupes de criminels organisés qui travaillent comme autrefois le Viet-Minh, nos adversaires en Indochine. Ils sont capables d’acheminer un Caterpillar, un Tractopelle décomposé en pièces détachées, à dos d’homme, pour les remonter dans la forêt guyanaise. Ces opérations militaires, sous commandement militaire de l’armée de terre, de l’armée de l’air, avec le concours de la Gendarmerie nationale, pour les aspects administratif et de police judiciaire. On voit bien qu’il s’agit de continuum, de l’interpénétration de deux champs qui se dessinent lors de ces opérations. Comme pour les opérations d’envergure qui se développent lors des sommets internationaux, comme le G 8 ou le G 20 à Deauville, à Cannes ou à Nice. Là, des effectifs de police et de gendarmerie, s’accompagnent de dispositifs d’opérations militaires pour le contrôle de l’espace aérien et maritime et des forces terrestres sur les massifs montagneux qui dominent la région, le tout dans un but non pas militaire, mais de sécurité.

Tout cela fait apparaître l’ambivalence de certaines missions. Par exemple, la Marine nationale, on pense à la notion de sauvegarde maritime, imaginée en 2005, c’est une mission utilisant les moyens actuels, capables de s’adapter aussi bien à la défense maritime du territoire, qu’à la protection de nos côtes, qu’à la protection de notre souveraineté sur l’espace maritime de nos eaux territoriales. Les mêmes moyens, sous l’autorité d’un préfet maritime, un amiral qui relève du Secrétariat général de la Mer, est chargé de la sécurité de nos espaces. Le même amiral, avec les mêmes moyens, mais sous l’autorité du chef d’État-Major des armées, sera en charge de la défense de l’espace maritime et de la projection de nos forces par voie de mer. Autre point comparable, c’est la défense aérienne. Depuis le 11 septembre 2001, nous avons une défense aérienne renforcée avec une véritable police de l’espace aérien. Chaque jour, des avions Rafale ou des hélicoptères, des moyens aériens reliés au centre de contrôle du Mont Verdun, capable de surveiller l’ensemble de l’espace aérien de l’Europe, assurent non seulement une mission de Défense, mais aussi une mission de sureté aérienne, de police de cet espace.

Autre point important de ce continuum Sécurité-Défense, c’est le rôle du renseignement avec auparavant, la DGSE à l’extérieur des frontières et la DST à l’intérieur. Le renseignement était discontinu. Il y avait le renseignement en matière militaire et le renseignement en matière de sécurité. Aujourd’hui, si l’on veut comprendre le phénomène du terrorisme, il faut aller à l’extérieur et si l’on veut comprendre des phénomènes qui intéressent le renseignement militaire, il faut rester à l’intérieur de nos frontières. Il fallait donc, sans parler de confusion, ni de fusion, un rapprochement de tous les services de renseignement, qu’ils soient civils, dépendant du ministère de l’Intérieur ou militaires, dépendant du ministère de la Défense. Ce rapprochement se manifeste par l’existence du Coordinateur national du renseignement qui, chaque jour, reçoit des informations de tous les services et avise l’ensemble des services de renseignement.

Car, en cas de crise, tout le monde est concerné, il y a un service menant et un service concourant, de façon que le renseignement soit coordonné et qu’il n’y ait pas de perte de renseignements.

Dernier point, c’est la cyber sécurité, le cyber espace. Contrairement à l’espace terrestre, aérien ou maritime, le cyber espace a été entièrement construit par l’homme. Il est porteur d’immenses progrès et libertés, de développement économique et de création d’emplois. Mais, en même temps, lorsque l’on ouvre un espace, c’est comme le Far-West ou les pirates en mer, arrive le temps des prédateurs. Ce sont aussi bien des terroristes, des criminels ou des guerriers. On voit dans la presse des exemples d’attaque massive, contre l’Estonie ou la Géorgie en 2008, l’attaque contre les centrifugeuses en Iran, sans parler des filières d’escroqueries. C’est un continuum, car c’est le même espace. Ce sont les mêmes voies qui sont utilisées. Il n’y a pas un terrain pour le cyber militaire et un terrain pour le cyber civil et un terrain pour exercer la cyber défense. Les deux aspects de cyber défense et de cyber sécurité sont complètement impliqués. Il est facile de prendre possession d’un espace officiel avec un petit logiciel espion, de louer des millions d’ordinateur sur Internet et lancer une attaque massive ou une menace pour obtenir une rançon, ou une opération pour bloquer un système, par exemple les feux de circulation, au moment où des terroristes vont commettre un attentat. Plus qu’une action guerrière, c’est une façon d’attaquer un pays, ses forces vives, ses infrastructures publiques, d’atteindre des objectifs d’importance. Ce sont les mêmes armes qui ont changé de finalité et si vous n’avez pas d’action dans le continuum Sécurité-Défense, vous êtes sûr d’aller à l’échec.

Dans cette nouvelle donne, beaucoup plus complexe, où on a bien du mal à qualifier les choses, comment est-on passé à la stratégie de sécurité nationale ? On y est passé par une sorte de glissement qui s’est opéré depuis les années 1950. À cette époque, la criminalité était en France très faible. Au début des années 2000, la délinquance avait été multipliée par 7. En 1950, la question de la Sécurité ne se posait pas. Mais la vraie menace, c’étaient les chars soviétiques qui se trouvaient à une étape du Tour de France de notre frontière. Progressivement, tout en conservant cette menace, on a vu l’augmentation de l’insécurité, surtout à partir des années 1975/1976 et, en 1983, lors des élections municipales, les préoccupations des élus se sont portées sur les questions de sécurité. À cette époque, les courbes qui montraient que la perception de l’insécurité par les Français ont dépassé les craintes sur les questions de défense. Lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir, il remet de l’ordre, dès 1962, dans l’organisation de la Défense, avec une vision globale, permanente, s’appuyant sur trois pôles, le pôle défense militaire, le pôle défense civile et le pôle économique. En 1958, les russes viennent de lancer le Spoutnik, ils ont la capacité de projeter une arme nucléaire sur le territoire américain et sur le territoire européen. En 1962, nous sommes en plein lancement de la dissuasion nucléaire, avec nos forces nucléaires stratégiques. On aura un système très déséquilibré, le centre de gravité de la politique va se concentrer sur les questions de Défense.

Et progressivement, au fur et à mesure que nous allons voir l’émergence des problèmes de sécurité, que le continuum Sécurité-Défense va se manifester, on va se rendre compte que le concept de défense, tel qu’il est rédigé dans l’ordonnance du 7 janvier 1959, n’est plus tout à fait pertinent pour affronter une situation en plein changement. D’où l’arrivée à une stratégie beaucoup plus globale, correspondant à la globalité des menaces et des risques, englobant toutes les politiques publiques, dont la politique de Défense, dont la politique de Sécurité, de diplomatie, de santé. Toutes ces politiques aujourd’hui convergent vers la politique de sécurité nationale. Dans une approche rhéostatique, c’est parmi toutes ces politiques publiques qu’il faut choisir la composition adaptée pour pouvoir répondre efficacement. Mais alors, pourquoi parler de Défense et de Sécurité nationale, pourquoi accoler une partie avec le tout. Si le mot Défense est resté dans le vocable, formant un pléonasme partiel, c’est qu’il n’est pas question que le mot Défense disparaisse, car il est fondamental dans notre histoire militaire, dans notre histoire politique, au titre de la Défense nationale. On ne pouvait pas abandonner tout ce que représente la Défense pour ceux qui ont combattu pour le pays. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de Livre Blanc de la Défense, c’est parce que l’on ne veut pas abandonner ce vocable, c’est pour montrer que dans l’ensemble de la contribution des politiques publiques, celle de la Défense est assez extra-ordinaire.

On ne peut pas mettre sur le même rang les politiques publiques qui, pour ceux qui en sont les acteurs, ne risquent pas leur vie au sens du sacrifice suprême, tel qu’il est réclamé par le statut militaire. C’est pourquoi, malgré la clé de voûte que représente la Sécurité nationale, on maintienne à tout prix la notion de Défense. C’est pourquoi, si l’on veut avoir un continuum Sécurité-Défense, il faut une gouvernance qui prenne en compte la Sécurité. À l’époque du général de Gaulle, de l’Ordonnance de 1959, il n’y a qu’une seule gouvernance étatique, c’est celle de la Défense. En 1990 et des attentats à Paris, Jacques Chirac, Premier ministre dans la cohabitation, décide de créer, à son niveau, un Conseil de Sécurité intérieure. Il y a donc un système avec les mêmes ministres ou presque qui sont réunis par le Président de la République, pour des questions de Défense et les mêmes ministres par le premier ministre, pour les questions de sécurité intérieure. Ce système ne va pas fonctionner correctement, car on est dans une situation de cohabitation avec François Mitterrand, puis Lionel Jospin.

En 2002, la gouvernance va changer de nature, puisque le conseil de Sécurité intérieure va être rattaché au Président de la République. Il y aura donc deux instances qui vont devoir traiter de deux questions absolument similaires. Pour aborder des questions comme la piraterie, selon qu’on la traite en Conseil de Sécurité ou en Conseil de Défense, il faudra aboutir à une logique à laquelle le Livre Blanc de 2008 nous a indiqué la voie, afin qu’il y ait auprès du Président de la République un conseil de Défense et de Sécurité nationale, une entité de gouvernance unique susceptible de prendre en compte ce continuum de Sécurité-Défense. Ainsi, il sera possible de pouvoir traiter dans la même réunion aussi bien des questions militaires, comme l’opération Harmattan, que des questions judiciaires, comment se règle la loi sur des affaires maritimes, comment se met en œuvre le dispositif pour « rapatrier » des auteurs d’infractions.

L’essentiel, c’est le problème des acteurs. Car dans le cadre de ce continuum Sécurité-Défense, il faut que les acteurs prennent l’habitude de travailler ensemble. Et pourquoi ces acteurs travaillent-ils à l’École de Guerre, c’est pour apprendre et pratiquer, sur le terrain, le même langage. C’est une forme d’interopérabilité entre la Gendarmerie et les armées. Cette complémentarité des acteurs passe par l’absence de jargon. Il faut qu’à chaque instant, on puisse trouver les moyens qui permettent de répondre à la crise. C’est un des grands enjeux de la loi de programmation militaire et de la programmation des performances de la Sécurité intérieure. Dans un contexte budgétaire difficile, serons-nous capables encore demain de disposer des moyens d’assurer, par l’adaptation instantanée des moyens qui nous sont donnés, de dire au gouvernement : votre liberté d’action est parfaitement garantie, parce que dans telle situation de crise, nous sommes capables d’apporter tel type de réponse. En revanche, s’il y a des impasses sur les moyens, on risque de se trouver dans des situations douloureuses, où la liberté d’action du gouvernement ne sera plus garantie.

Ainsi, un autre point que je voulais évoquer, c’est de noter que dans cette conception du continuum Sécurité-Défense et de gestion de crise, l’élément essentiel, c’est la Réserve. La Réserve permet un ajustement permanent. C’est un résilient de Défense que la Réserve citoyenne, de même que la Réserve opérationnelle, le facteur de résilience de la nation, en liaison avec la résilience Défense. Si on veut avoir une capacité d’action dans le domaine du continuum Sécurité-Défense, il faut impérativement travailler avec la Réserve, avec aussi une capacité d’interpénétration des forces entre elles, une véritable interopérabilité. Par exemple, la fonction garde-côtes, créée en 2009, associe non seulement les moyens de la Marine nationale, mais aussi les moyens nautiques de la Douane, les moyens de la gendarmerie départementale… C’est là que l’on voit que la mer étant un véritable continuum spatial, cette articulation, cette coordination des forces est absolument essentielle. Ceux qui partent à la guerre sans la moindre interopérabilité avec les autres, affaiblissent ce continuum.

La Gendarmerie, par rapport aux forces de police et aux armées, est, par construction, une force de continuum, puisque c’est à la fois une force de sécurité, puisqu’elle a des compétences de police, mais aussi elle relève du ministère de la Défense et ses cadres ont une formation militaire. Le législateur y tient et les gouvernements savent très bien que la Gendarmerie a la capacité d’agir sur l’ensemble du spectre, soit dans le cadre d’une sécurité intérieure avec une dimension renforcée avec des moyens d’action particuliers, comme pour l’action en Guyane ou l’engagement des gendarmes en Libye pour la protection de nos intérêts diplomatiques.

Toutes ces actions permettent aux gendarmes d’être dans le haut du spectre des actions de sécurité et dans le bas du spectre des actions de Défense, avec nos camarades des armées. Tous ceux qui ont participé aux opérations extérieures en sont bien conscients. Ce modèle français que les Anglais et les Américains ont considéré comme « shocking », parce qu’il est napoléonien, en Irak ou en Afghanistan, lorsqu’il s’agit non pas de gagner la guerre, mais de gagner la paix, se sont rendu compte qu’il leur manquait quelque chose d’essentiel, un contingent de militaires et d’officiers pour assurer ce continuum.

Quelques remarquer pour terminer, à propos de ce continuum. Première conséquence, l’interopérabilité, pour communiquer, pour se donner les moyens d’agir ensemble. Il faut donc avoir une véritable politique industrielle qui permet de gagner ce qui manque en moyens par un gap technologique et industriel. C’est un enjeu pour notre industrie que d’apporter des solutions qui soient, dans la mesure du possible, des solutions de souveraineté.

Deuxième point important dans ce continuum Sécurité-Défense, il y a des hommes et des femmes qui relèvent du statut militaire, qui ne sont pas syndiqués, sont amenés à travailler avec des hommes et des femmes qui relèvent du statut civil et qui sont syndiqués. Il n’est pas acceptable dans un pays comme le nôtre, que des hommes et des femmes qui ont un engagement aussi fort, aussi extra-ordinaire, qui peut aller jusqu’à la mort, acceptée sur le champ de bataille, puissent sur le plan franco-français ou sur le plan international, coopérer avec des personnes dont le statut est autrement plus favorable. Ce continuum Sécurité-Défense pose le problème de la condition militaire au sein de l’ensemble de la condition des hommes et des femmes, entendue avec une équitable répartition.

Dernier point, sur les opérations militaires. Auparavant on était habitué à avoir des opérations militaires avec des finalités militaires et qui s’inscrivaient dans un cadre offensif des forces. Elles n’appelaient pas, de la part des juges, un regard particulier. Non seulement, nous sommes dans une judiciarisation du champ de bataille, mais sous sommes entrés dans la judiciarisation de la bataille. C’est, à mon avis, une dérive colossale. Pourquoi ? Parce que l’on ne mesure pas l’impact de la décision récente de la Cour de Cassation sur l’engagement de nos soldats dans les opérations militaires. Imaginez un pilote de Rafale au moment de déclencher le tir du missile qu’il est chargé de servir et qui se demande si, en cas de dégât collatéral, un juge ne va pas le poursuivre pour la mise en danger de la vie d’autrui. La question vient du fait que le continuum a repoussé les limites de la guerre, a empêché la guerre de se manifester et donc, la mise en application des lois de la guerre. Ainsi, les juges civils se déclarent compétents.

Si le juge est compétent, j’acquiesce à sa compétence et je dis que sur le champ de bataille et il en sera d’accord avec moi, il faut que le juge ait toute sa place, la première place, c’est-à-dire dans la cible de tête.

Suite et fin de la réunion avec la séquence des questions/réponse.

 

 

 

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