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Lídia Jorge, ou comment la littérature peut changer votre vie…

Carte du PortugalC’est l’histoire d’une petite fille. Elle atterrit sur la planète Terre en 1946 à Boliqueime, dans une famille modeste de la province de l’Algarve, à l’extrême sud du Portugal. Elle s’appelle Lídia Jorge. Elle est élevée par sa mère et sa grand’mère. Car dans cette famille, dans cette région, chose étrange, les femmes vivent comme des veuves. Il n’y a pas d’hommes. Ils sont en mer, à la pêche ou bien ils ont émigré en Europe, en Afrique, en Amérique latine, en Asie, pour gagner l’argent dont ils envoient une partie à leur famille, pour l’aider à survivre et payer les cadeaux pour gâter un peu les enfants.

Lídia avait appris à lire très tôt, grâce à sa grand-mère. Celle-ci  avait hérité de son père une petite bibliothèque qui avait failli être brûlée par dépit, car l’aïeul n’avait laissé que cela, à sa mort. À la veillée, Lídia était chargée de faire, à haute voix, la lecture d’un de ces livres à sa famille. Trop jeune, elle ne savait rien faire d’utile : éplucher les légumes, préparer la cuisine du lendemain, coudre ou broder. Ces lectures n’étaient pas vraiment pour son âge. Il s’agissait de romans traditionnels, violents, mélodramatiques. Et aussi des livres romantiques portugais du XIXe siècle qui, à cette époque, étaient encore à la mode dans les campagnes.

AlgarveLídia Jorge raconte que les histoires de ces livres, qui n’étaient pas du tout pour des petites filles, avaient créé chez elle un certain déséquilibre psychologique. Elle trouvait le monde des adultes affreux et elle avait décidé d’y mettre de l’ordre. C’est pourquoi, elle suivit l’exemple de sa mère. Bien qu’ayant fait très peu d’études, celle-ci tenait un journal intime. Lídia avait donc commencé à écrire de petites pages avec les noms des personnages des livres. Mais elle changeait la fin des histoires, afin que le combat tragique du Bien contre le Mal puisse se terminer de façon un peu plus heureuse.

Adolescente, Lídia constatait l’abandon de l’Algarve. Chaque mois quelqu’un partait, les terres étaient abandonnées, les maisons tombaient en ruines, elles étaient envahies par les animaux sauvages. Elle comprenait qu’il lui faudrait partir, puisque ce qui était sous ses yeux était en train de mourir. Pourtant, la région était superbe. De fait, par la suite, elle s’est transformée avec le tourisme. Mais ce monde nouveau reste fragile, cosmopolite, dépendant de facteurs extérieurs, comme nos vies et nos activités actuelles, plongées dans la mondialisation.

« Le monde n’est qu’une branloire pérenne« . Michel Eyquem de Montaigne écrivait cette phrase (Essais, III-2) à la fin du XVIe siècle, au cours de la Renaissance.

On dirait, dans le français d’aujourd’hui, « le monde est en perpétuel changement« , ce qui fait référence à nos deux précédentes chroniques. Elles évoquaient des hommes lucides et courageux, doués pour écrire, aptes à transmettre leur savoir. Ils voulaient aider leurs contemporains à se montrer vigilants, à comprendre ce qui se passe. D’une part, Henri Mendras dans son célèbre livre, « La seconde révolution française : 1965-1984« , ainsi que les publications de nombreux autres sociologues et essayistes de la seconde partie du XXe siècle. D’autre part, Jules Verne et l’éditeur Hetzel, avec les romans pour la jeunesse, publiés à la fin de XIXe siècle.

Bien avisés, les parents de Lídia lui feront suivre des études afin qu’elle soit suffisamment armée pour ne pas être victime du changement. Après l’enseigne-ment secondaire au lycée de Faro, elle entre à l’Université de Lisbonne et en sort avec un diplôme de « Philologie romane« . Puis elle devient professeur de lycée. Deux événements vont décider de sa carrière d’écrivain. D’abord le choc de 1968 : les idées de liberté qui se déclenchent de part et d’autre du rideau de fer est un mouvement d’émancipation d’une jeunesse qui rejette les archaïsmes. Ce mouvement de révolte fut spectaculaire en Europe occidentale, en France en particulier. Exemple tout proche qui ne pouvait échapper à une jeunesse portugaise enfermée dans la dictature salazarienne. Second choc, elle quitte le Portugal pour suivre son mari dans des guerres coloniales anachroniques. Ces opérations militaires aboutiront à la « Révolution des Œillets« .

Officier de l’armée portugaise, celui-ci avait été affecté, d’abord en Angola en 1968, puis au Mozambique de 1970 à 1974. Fort de son antériorité dans le phénomène de colonisation, le gouvernement portugais pensait pouvoir conserver ses possessions d’Afrique. Certes, les Portugais avaient été les premiers à se lancer au XVe siècle dans les explorations maritimes. Ils cherchaient une nouvelle route des Indes, contournant l’Afrique, pour concurrencer le monopole vénitien sur les épices. Pourtant, le processus de décolonisation, apparu à la fin de la première guerre mondiale (le président Wilson avait proclamé dès 1919 « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes« ), s’était peu à peu imposé après 1945. À son arrivée en Afrique, Lídia Jorge ressent le contraste violent et terrible entre sa perception de l’Afrique, continent puissant et merveilleux, lieu de rêve où son père et son grand-père avaient vécu dix ans et l’Afrique coloniale, lieu de guerre avec ses atrocités. 

Le rivage des murmures

Car, malgré la tentation du « Pouvoir blanc« , exemple donné au Mozambique par ses puissants voisins, la Rhodésie et l’Afrique du Sud, elle avait tout de suite compris que la cause était perdue, que de jeunes portugais et de jeunes africains allaient mourir absolument pour rien. Bien qu’étant une grande lectrice d’auteurs américains, français, anglais, sud-américains…, Lídia Jorge se rendait compte que tout ce qu’elle avait lu ne ressemblait pas à ce qu’elle était en train de vivre.

C’est la raison pour laquelle elle était poussée à écrire : témoigner. Pour que son expérience des rapports humains marqués par la guerre, ses violences et ses injustices, ne reste pas enfouie dans son esprit, mais soit partagée avec d’autres et que cette page d’histoire ne tombe pas dans l’oubli. Son roman, publié au Portugal en 1988, sera publié en français un an plus tard, sous le titre « Le rivage des murmures« . Il sera traduit dans de nombreuses langues.

Philologie romane. La philologie est l’étude, par l’analyse critique des textes, des langues issues du latin populaire, parlé après la chute de l’Empire romain d’Occident. Les langues romanes couvrent une grande partie de l’Europe occidentale de la Wallonie, au Portugal, de l’Espagne à l’Italie et en Roumanie. Cette discipline s’appuie et contribue à la connaissance d’autres domaines comme la grammaire, la linguistique, mais aussi l’étymologie, la stylistique, l’histoire et l’histoire des religions, l’archéologie… La philologie est un enseignement complet, puissant facteur de culture, d’ouverture aux sciences humaines et à la pratique érudite des langues.

Le « Rivage des murmures » s’ouvre sur une nouvelle d’une trentaine de pages, « Les sauterelles« . Elle est supposée être rédigée par un journaliste qui décrit le racisme de la société coloniale mozambicaine, à l’occasion d’une noce qui se déroule sur la terrasse d’un grand hôtel qui fait face à l’Océan Indien. Le soir, le marié disparait. Une fatale conception de l’honneur militaire lui a fait se tirer une balle dans la tête, à la roulette russe.

Cette nouvelle est commentée vingt ans plus tard par une femme. Elle n’est autre que la jeune mariée d’alors. Elle interpelle l’auteur de la nouvelle, complète et corrige sa vision, donne sa version des événements. Elle évoque cette période où elle a vu la guerre coloniale transformer son jeune époux, auparavant un doux et timide étudiant en mathématiques, en un sous-lieutenant fanatique, double de son capitaine, brandir une tête de Noir au bout d’une pique.

Par un procédé évocateur et puissant de « mise en abîme« , comme au cinéma : le film dans le film, Lídia Jorge invite le lecteur à se placer en observateur captivé, à côté de la narratrice, pour recueillir des fragments de mémoire, pour rassembler des bribes de témoignages. Ainsi, progressivement, le lecteur approche d’une vérité fragile et relative, qui n’appartient plus à personne puisqu’elle est la somme des multiples perceptions venant des autres.

Le succès du « Rivage des murmures » a conféré à Lídia Jorge une place éminente dans la littérature portugaise contempo-raine. En 1980, elle avait déjà publié un livre remarqué « La journée des prodiges« , la transformation de la société portugaise dans la démocratie, puis décrit l’indifférence entre les générations et la perte de repères dans « Le jardin sans limite » (1995), l’obsession de l’argent et les intérêts sordides d’une classe dirigeante qui a survécu à tous les changements politiques, « Le vent qui siffle dans les grues » (2002). En 2007, « Nous combattrons l’ombre » dénonce les trafics de drogue, d’armes, d’êtres humains qui prospèrent dans le chaos d’un monde sans scrupules, sourd à l’indignation des gens honnêtes.

Nous combattrons l'ombreDans un entretien réalisé à Paris le 22 mars 2004, à l’occasion de son livre « Le vent qui siffle dans les grues« , Lídia Jorge déclare : « C’est vrai que nous sommes dans une époque postcoloniale et tout ce qu’on ressent aujourd’hui, le manque de dialogue, l’incapacité à communiquer, ce sont les complexes des pays qui ont eu des rapports colonialistes auparavant. La particularité du Portugal, c’est que nous avons une bonne opinion de nous-mêmes. Nous avons l’idée que nous ne sommes pas racistes, pas xénophobes, que nous avons la communi-cation facile, que nous avons fait un empire de métissage, que nous sommes naturellement métis. Mais cela, c’est à la surface. Le Portugal est un pays qui garde ses secrets, ses crimes, qui sait bien gérer le silence. C’est peut-être le sujet de tous mes livres : il y a un scandale, comment faire pour l’anéantir, le cacher, faire comme si tout était normal« .

Chers lecteurs, vous pouvez maintenant relire cette chronique en remplaçant Portugal par France et Mozambique par Algérie. Une tragédie qui, elle aussi, a entraîné la chute d’un régime et la naissance d’un autre. Voilà sans doute pourquoi l’émigration portugaise, multipliée par dix dans les années 1960 et forte aujourd’hui de quelque 800 000 personnes, s’est intégrée en France, sans difficultés majeures. Sans doute parce que les pages de l’histoire coloniale de nos deux pays, nos préjugés, nos tabous, nous rapprochent. Le journaliste italien Alberto Toscano, fin connaisseur de la France, dans son récent livre « Critique amoureuse des Français« , nous donne ce conseil : « Vous vivrez mieux le jour où vous vous sentirez libre d’être normaux« .

France Culture. La présente chronique s’inspire de l’émission radiophonique hebdomadaire de Francesca Isidori : « Affinités électives« . Elle recevait Lídia Jorge le 27 mars 2008, pour un entretien d’une heure, à l’occasion de la parution de la traduction française de son livre « Nous combattrons l’ombre« . Une révolution technique permet désormais de réécouter les émissions et de les enregistrer sur ordinateur, par « Podcast« , sans être à l’écoute au moment de la diffusion. C’est très utile pour écouter des émissions où des auteurs et des intellectuels intervien-nent à propos des préoccupations actuelles et pour extraire le meilleur des leçons des professeurs du Collège       de France ou des conférences de l’Université de Tous Les Savoirs (UTLS).

Voila comment la littérature peut changer notre vie. Soyons de grands lecteurs. Montrons l’exemple à nos enfants, à nos petits-enfants. Car ils se sentiront obligés de transmettre ce qu’ils auront appris et compris, obligés de parler, d’écrire et d’agir dans un « esprit de résistance« , avec l’ambition et le talent pour « faire de la littérature« . C’est-à-dire créer une forme supérieure de communication, une œuvre d’art. Parce que seule la beauté peut répondre au chaos du monde.

À bon entendeur, à bon lecteur, salut !

Bernard Labauge

Éloge de la lecture – Jules Verne, un génial vulgarisateur

Dans le premier éloge de la lecture, nous avons évoqué les thèmes éternels, ou plus exactement invariants, de la vie en société. Beaucoup d’entre eux nous sont remis en mémoire par les fables de Jean de La Fontaine. Par exemple, le thème toujours très actuel de la valeur travail, dans « Le laboureur et ses enfants ». Vous avez trouvé aussi, à l’appui du texte de cette précédente chronique, les références à quelques livres d’économistes et de sociologues. Ces ouvrages montrent que nous vivons, aujourd’hui, dans un monde qui se trouve à mille lieues des années 1980-2000, la fin du XXe siècle. Pourtant, dix ans après l’avènement du XXIe siècle, faute de  » lucidité, de culture et d’aptitude à l’action », selon la formule d’André Malraux, nous agissons encore trop dans l’espoir de faire revenir le passé, au lieu de nous consacrer pleinement à construire l’avenir. Nostalgie des trente glorieuses…

C’est une situation comparable à celle de la seconde moitié du XIXe siècle. Dans cette période, il y a quelque 150 ans, les influences du Siècle des Lumières font place, peu à peu, à la Révolution industrielle, une société animée par le développement des sciences et des techniques. L’invention de la machine à vapeur est à l’origine du développement d’un réseau mondial de chemins de fer à vapeur. C’est une révolution. Elle rapproche les hommes, fait connaître la géographie du monde, permet de confronter des cultures, des civilisations différentes. Et surtout, en facilitant les échanges de biens et de personnes, le chemin de fer va contribuer à développer la société industrielle dans une première forme de mondialisation. Toutes proportions gardées, c’est une révolution analogue à celle que nous vivons actuellement avec « La Toile », le réseau Internet. De la même façon, ce réseau facilite et accélère les échanges de biens tangibles, mais aussi ceux de services immatériels, notamment l’information, les connaissances, le savoir.

Ainsi, dès le milieu du XIXe siècle, un immense changement social est suscité. Les populations paysannes des campagnes sont attirées par la modernité, le travail salarié dans les grandes villes. Ce qui ne manque pas de poser des problèmes d’adaptation, donc d’enseignement, de santé publique, d’emploi et de conditions de travail, voire d’ordre social. D’où la naissance en 1848 et le développement, à partir de la deuxième République, de l’idée de socialisme.

Jules Verne, l’enchanteur
Jules Verne, un écrivain célèbre encore aujourd’hui dans le monde entier, domine la période qui s’étend de 1850 à 1905, date de sa mort. Il joua un rôle immense de « passeur », de vulgarisateur scientifique et géographique, au profit de ses contemporains et, en particulier, de la jeunesse.

Né en 1828 à Nantes, Jules Verne termine ses études de droit à Paris en 1850. Il découvre le milieu littéraire et monte avec un certain succès des pièces de théâtre. Il refuse de succéder à son père, avoué à Nantes. Il se marie, voyage en Angleterre et en Scandinavie. Au début des années 1860, deux rencontres seront décisives. D’abord avec le photographe et aérostier Nadar, (qui donnera le personnage d’Ardan, anagramme de Nadar, dans De la Terre à la Lune) et surtout avec l’éditeur Pierre-Jules Hetzel.

L’œuvre de Jules Verne n’aurait jamais atteint cette célébrité, si l’écrivain n’avait, dès son premier roman, Cinq semaines en ballon, au succès immédiat, étroitement et fidèlement collaboré avec ces deux républicains militants de l’éducation laïque qu’étaient Pierre-Jules Hetzel et son conseiller pédagogique, Jean Macé.

En effet, le bouleversement social créé par l’entrée dans la modernité impose des efforts d’instruction publique. C’est l’époque de Louis Hachette qui créera en 1826 la librairie et la société d’édition qui porte encore son nom. C’est Pierre Larousse, pédagogue et éditeur qui meurt en 1875 après avoir publié les vingt deux mille sept cents pages du Grand Larousse Universel, avec la devise « Je sème à tout vent ». C’est Jules Ferry également, dont le nom reste attaché aux lois scolaires mises en œuvre dans les années 1880. Il impose en 1890 aux instituteurs d’utiliser le livre pour leur enseignement. Ainsi, Jules Ferry inventait le manuel scolaire, fortune des éditeurs jusqu’à maintenant, activité désormais menacée par le multimédia.

Jules Verne, avec son insatiable appétit d’écrire et son inspiration, est exactement l’homme de la situation. Il place la géographie et l’histoire, les sciences et la technique au rang des objets d’études utiles pour situer les actions humaines dans un monde en train d’éclore. Les États-Unis sont un laboratoire où tout est possible pour développer une civilisation nouvelle. L’Afrique est une terre primitive qu’il faut débarrasser de l’esclavage. Les pôles arctiques et antarctiques, l’Océanie sont de vastes espaces encore à découvrir. L’Asie garde le mystère de civilisations secrètes qui font rêver les occidentaux… Et tout ce monde baigne dans un véritable continent, protecteur et hostile à la fois, la mer.

L’éditeur pédagogue Hetzel
Pour soutenir sa politique éditoriale Pierre-Jules Hetzel lance en 1864 une revue pour la jeunesse et les familles, Le Magasin d’Éducation et de Récréation-Encyclopédie de l’enfance et de la jeunesse. Les romans de Jules Verne y paraissent d’abord en feuilletons illustrés avant d’être édités en volumes brochés ou cartonnés.

En cette fin du XIXe siècle, la lecture prend soudain une importance exceptionnelle. On peut la comparer sur bien des points à l’essor considérable de l’audiovisuel, (cinéma, télévision, Internet), un siècle plus tard. Pierre-Jules Hetzel saura exploiter les possibilités offertes par la place que prend la littérature et la fascination apportée par l’illustration, l’image en regard d’un texte. C’est pourquoi les volumes caractéristiques de la collection Hetzel (à saisir si vous en découvrez dans les vide-greniers), restent célèbres pour la qualité des illustrations réalisées par les meilleurs illustrateurs de l’époque : Grandville, Johannot, Bertall, Gavarni…

Voir ci-dessous des exemples d’illustrations.

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 Jules Verne consacre des milliers d’heures de lecture dans les bibliothèques publiques. Pour mieux connaître sa biographie et sa façon de travailler, vous pouvez allez visiter la Maison Jules Verne à Amiens, ville où il a passé l’essentiel de sa vie. Debout dès cinq heures du matin, il écrivait jusqu’à treize heures. Le reste de la journée était consacré à recueillir de la documentation. Il fait la connaissance des savants de l’époque, notamment François Arago, savant prolifique et grand vulgarisateur scientifique et son frère Jacques Arago, écrivain et explorateur. Jules Verne questionne savants et experts, afin de vérifier la justesse et l’exactitude des bases sur lesquelles il fonde ses géniales anticipations. Son œuvre est pédagogique et ludique à la fois, en ce sens que l’action, le suspense, permettent aux écoliers, aux lycéens de découvrir la géographie, la minéralogie, la botanique, l’histoire, les valeurs morales, tout cela magiquement, par la vertu d’une lecture de divertissement.

Michel Strogoff - 01 R

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Pour Hetzel, comme pour Jules Verne, la lecture est le premier facteur de progrès. Elle développe l’individu et favorise ses prises de conscience. Dès le plus jeune âge, la lecture, est le plus souvent collective dans le cadre familial. Elle fait de l’être humain, un être civilisé, curieux, libre et responsable. Jules Verne figure parmi l es écrivains qui ont fait de la littérature et du livre le média le plus important des XIXe et XXe siècles. Nous verrons dans d’autres chroniques que, à partir des années 1950, de nouveaux media apparaissent, appuyés sur l’image plutôt que sur le texte, photographie, cinéma, télévision. Nous verrons pourquoi et comment ces nouveau médias rendent plus difficile à comprendre la pratique et l’utilité de la lecture qui reste pourtant un outil indispensable.

L’ œuvre considérable de Jules Verne

Les 62 romans qui constituent la série des Voyages extraordinaires montrent l’opposition entre le processus économique qui se développe et les valeurs morales. D’après Jules Verne et Pierre-Jules Hetzel, l’instruction publique et l’éducation, les acquis sociaux, la justice, la science, la philosophie, les arts et les lettres, la morale, sont les vraies valeurs d’une société de progrès, mais elles ne sont pas des valeurs marchandes. Le capitaine Nemo est le modèle du personnage libre, indépendant, au comportement doué de raison et d’éthique. Problématique toujours d’une brûlante actualité, puisqu’aujourd’hui, tout semble pouvoir être privatisé, « marchandisé » ! Pourtant, aujourd’hui, si les mots de morale d’éthique, de gouvernance, etc. fleurissent dans nombre de textes et discours, c’est bien la preuve qu’il existe un problème au sujet de ces valeurs.

Considérable est la fécondité de la production de Jules Verne, puisque qu’à ses yeux son œuvre comporte une centaine de volumes. On retiendra essentiellement les 80 titres des voyages extraordinaires qui comptent 18 nouvelles et 62 romans.

Parmi les plus connus, nous pouvons citer : Cinq semaines en Ballon (1862), Voyage au centre de la terre (1864), De la Terre à la lune (1865), Les enfants du capitaine Grant (1865), Vingt mille lieues sous les mers (1869), Le tour du monde en 80 jours (1872), L’ile mystérieuse (1873), Michel Strogoff (1875), Un capitaine de quinze ans (1878), Les cinq cents millions de la Bégum (1878), Les tribulations d’un chinois en Chine (1879), Le rayon vert (1882), Robur le conquérant (1885), Face au drapeau (1894), Le secret de Wilhelm Storitz (1898), Maître du monde (1903)…

Toujours d’actualité

Dès leur publication, les romans de Jules Verne, l’enchanteur, n’ont jamais cessé d’inspirer les metteurs en scène de théâtre et de cinéma, les auteurs de bande dessinée… Ils permettent aux jeunes lecteurs de développer leur mémoire, leur capacité émotionnelle, leur affectivité, outils privilégié de leur créativité.

Le poète persan Hafez qui vivait au XIVe siècle de notre ère, nous dit : Dans mon être, je sens un bouillonnement, je ne sais pas ce que c’est, je ne peux l’expliquer, je cherche le moyen de l’exprimer… Hafez (le gardien), n’est pas le vrai nom de ce poète mystique persan qui repose aujourd’hui dans un mausolée à Chiraz, au sud de l’Iran. Ce surnom désignait ceux qui connaissaient par cœur l’intégralité du Coran : bel éloge de la lecture et de la mémorisation !

Lee Strasberg, le célèbre directeur de l’Actor’s Studio créé en 1949 à New York et qui a vu passer des acteurs comme Paul Newman, Robert De Niro, Marlon Brando, Marilyn Monroe, Jane Fonda, James Dean…, accueillait ses stagiaires en leur disant : vous êtres des réservoirs dont la plomberie n’est pas encore posée ! Passer de l’enfant à l’adolescent et de l’adolescent à l’adulte, c’est la quête des moyens d’expression. Il faut poser les canalisations entre l’émetteur et ses récepteurs, entre soi-même et les autres. Pour cela, il est indispensable de lire les bons auteurs afin de comprendre par quelle technique, avec quel vocabulaire, ils ont su mettre leur pensée noir sur blanc. Rien de mieux que de vouloir écrire pour préciser sa pensée, l’orienter pour être lu et communiquer avec les autres, pour savoir comment raconter des histoires.

La lecture est, par conséquent, l’outil privilégié qui nous fait découvrir nos moyens d’expression, nos moyens de création. Ceux pour lesquels nous avons des dispositions, des atouts, des dons. La lecture fait des individus des êtres cultivés, forts d’une irremplaçable curiosité intellectuelle. La lecture, c’est aussi l’incitation à aller à la découverte de mondes encore peu défrichés : l’infiniment grand, notre planète et l’espace interstellaire, d’une part et l’infiniment petit, d’autre part, la connaissance de soi-même.

Cette chronique s’inspire d’une biographie intitulée : Jules Verne – L’enchanteur, publiée par Jean-Paul Dekiss, en 1999 aux Éditions du Félin – Paris

Dans « L’agressivité détournée », la conclusion du livre du professeur Laborit évoque celle de cette chronique. Publié en 1970 (Union Générale d’Éditions), Henri Laborit écrit : «  L’agressivité telle que nous la connaissons, uniquement orientée vers les autres, devra disparaître pour s’orienter vers la conquête d’un nouveau monde, celui que notre œil distingue en regardant les étoiles et celui, plus incompréhensible encore, qui vit en nous ».

À bon entendeur, à bon lecteur, salut !

 Bernard Labauge