La citoyenneté aujourd’hui


Cette conférence à été prononcée le 6 octobre 2011 par Malika Sorel, membre du Haut Conseil à l’Intégration, au cours de la Journée de formation des R L J C, organisée à l’École militaire par la Commission Armées-jeunesse.

Le travail d’engagement sur la citoyenneté doit être accompli chaque jour par les citoyens. C’est fondamental et puisque la situation est difficile, comme vous le savez, il convient de tenir un langage de vérité.

La plupart des difficultés que nous rencontrons aujourd’hui chez les jeunes, quant à leur éducation à l’école ou leur place dans la société, vient du fait que nous leur  avons caché un certain nombre de vérités. Cela les a desservis dans leur  parcours, dans leur évolution. Situation particulièrement dramatique pour des enfants dont la culture est d’origine non européenne. Ils ont des difficultés  pour comprendre ce que la société attend d’eux. Je montrerai ce qu’il convient de faire, ou de ne pas faire sur le terrain, pour éviter d’enfermer certains jeunes dans leurs origines culturelles, ce qui va freiner leur insertion dans la société. Il y a un certain nombre de concepts à définir car nous sommes dans un grand flou. Il est important de savoir quels sont les mots qui sont employés, à quoi ils correspondent. Car lorsque nous devons travailler avec des personnes non européennes, elles ne placent pas nécessairement le même contenu sur les mêmes mots. Lorsque nous regardons les autres avec une grille, avec une vision européenne, nous avons toutes les chances de nous tromper. Il faut connaître l’envers du décor, savoir à qui nous avons affaire, non pas pour abonder dans leur sens, mais comme pour les militaires, la connaissance du terrain n’oblige pas à se plier à ce que ceux qui se trouvent en face, veulent de nous.

Dans le thème proposé pour cette intervention, je retiens le terme « aujourd’hui » : la citoyenneté aujourd’hui. Comme si cette citoyenneté avait changé, comme s’il y avait une citoyenneté binaire et qu’à un certain moment il y aurait eu une rupture, une discontinuité. Il faudrait alors dater la citoyenneté d’aujourd’hui par rapport à un « hier« . Qu’était-ce que la citoyenneté hier ?

Le Haut Conseil à l’Intégration, créé en 1989 par Michel Rocard est apolitique et conseille les premiers ministres successifs, quelle que soit leur sensibilité politique et nous voyons que ce sujet de la citoyenneté est un sujet majeur qui concerne tous les citoyens, qui les interpelle de plus en plus. Et, selon les enquêtes qui en accréditent le fait, ce sujet est une énorme source d’angoisse. Les français se demandent ce qui se passe à propos de la citoyenneté : y a-t-il rupture ou pas et, si oui, y adhèrent-ils ? C’est très important, car si on prend des libertés avec ce sujet, et comme le peuple n’est pas prêt à prendre ces libertés, on fourvoie ceux que l’on destine à être accueillis dans la citoyenneté. La sanction va être immédiate dans la société, ce que le politique aura autorisé, la population sur le terrain ne l’autorisera pas nécessairement et ainsi, on aura desservi le jeune, d’origine européenne ou extra européenne, d’abord dans son parcours d’insertion au sein de notre société et ensuite dans sa citoyenneté.

Le général de Gaulle rappelle qu’à chaque instant et à chaque fois que l’on s’interroge sur le choix du destin d’un peuple, il faut se poser les questions suivantes :
« qui sommes-nous, d’où venons-nous, où en sommes-nous et vers où voulons-nous aller » ? Quel est notre projet politique, quel est notre projet de société ?

Cette attitude illustre à la perfection le lien, la transcendance politique que les Français mettent dans leur citoyenneté. Ce n’est pas nécessairement aussi fort dans d’autres pays.

Mais pour les Français, il y a une dimension politique dans la citoyenneté. Il
faut garder à l’esprit cette étroite corrélation. Pour les Français, en parlant
de citoyenneté, on parle en réalité de légitimité politique, de la faveur que
l’on accorde de participer à la loi commune, de participer au dessin du contour
du projet politique, de dessiner le projet de société pour demain. C’est
fondamental, car si on ne recueille pas l’adhésion d’une majorité de la
population, à un moment ou à un autre, cette majorité saura se rappeler à notre
bon souvenir. Cette transcendance politique, le fait qu’elle confère à un
groupe l’appartenance à une communauté politique, elle ne peut exister que
fondée sur un pacte moral. Les Français le ressentent très bien dans les
enquêtes sociologiques, spontanément, certains principes, certaines valeurs
viennent à l’esprit des interviewés. Mais il y a une multitude d’éléments qui ne
viennent pas spontanément à l’esprit, qui restent intériorisés dans ce pacte
moral, qu’ils vont transmettre eux-mêmes à leurs enfants, à leurs descendants,
car les grands-parents participent aussi à l’éducation de leurs petits-enfants,
de manière souvent tacite, à travers les gestes et les actes de la vie
quotidienne.

Les enfants apprennent énormément par mimétisme et forgent très tôt leur personnalité, ce dont nous reparlerons lorsque nous parlerons de l’école et de ce que nous pouvons faire sur ce terrain. Les parents, par leur comportement, vont
participer, vont contribuer à la transmission du contenu de ce pacte moral. Les
Français, lorsqu’ils doivent citer les éléments de ce pacte moral, ont
immédiatement à l’esprit le slogan Liberté – Égalité – Fraternité, auquel on
ajoute Laïcité. Car c’est le produit d’une page d’histoire tragique qui a
commencé bien avant 1905 et qui aura abouti à cette notion de laïcité, qui
permet de vivre ensemble, au-delà de nos différentes sensibilités religieuses.

Pourquoi parler de tout cela ? Parce que les Français ont perdu de vue la différence entre l’État et la Nation et ils s’interrogent sur leur citoyenneté, sur l’état de
leur Nation, ils ont tendance à juger que c’est la République qui a échoué et
ils veulent remettre en cause les principes fondamentaux qui font partie de
leur pacte moral. L’historien Max Gallo résume de la manière suivante cette
devise de la République en associant la Révolution française, qui a donné
naissance à la République, à un « creuset dans lequel il y a toute l’histoire de France depuis ses origines« .

Toutes les pages culturelles et politiques de l’histoire de France vont se
retrouver dans la Révolution pour donner naissance à cette devise de la
République. D’innombrables éléments font des Français une communauté humaine,
étroitement réunis par des liens d’ordre matériel ou spirituel. Parmi les
éléments matériels, palpables, il y a le sol, leur territoire, leur terre, qui est
censées leur appartenir, c’est une dimension essentielle dans la question qui
nous préoccupe aujourd’hui. Il y a les éléments spirituels à partir du partage
de l’histoire et de la culture, éléments qui sont décrits par Ernest Renan en
1882. Il les a très bien résumés pour nous aider à comprendre ce que nous devons
transmettre aux jeunes générations pour continuer à former une communauté
politique et leur donner les éléments qui leur permettront d’être acceptés par
la communauté déjà existante. Parmi les principaux éléments de ce pacte, Ernest
Renan recense la fusion des populations, (aujourd’hui nous avons de graves
difficultés sur ce point. Cf. Les travaux d’Emmanuel Todd sur les conditions
d’assimilation et de ségrégation d’une population au sein d’une société), le
désir de vivre ensemble, à partir d’un certain niveau ou d’un seuil de
tolérance, par rapport au refus des valeurs du pacte moral, à un certain
moment, si ce seuil est franchi, ce désir de vivre ensemble ne va pas perdurer.
C’est un travail quotidien que de montrer aux jeunes les limites à ne pas
franchir. La volonté de continuer à faire valoir l’héritage que l’on a reçu
indivis. Si l’on ne veut pas s’approprier l’héritage de la communauté que l’on
rejoint, il sera très difficile de pouvoir en faire partie. Le partage d’un
long passé d’effort de sacrifices et de dévouement, le culte des ancêtres,
c’est pour lui le plus important pour inscrire les jeunes dans une continuité…
Tout cela a été résumé dans une phrase restée célèbre : « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours« . Les enquêtes montrent que les Français sont très
attachés au contenu de ce pacte moral et qu’ils ne sont pas décidés à le
laisser à l’abandon. Souvent, depuis trente ans, on oublie que les peuples possèdent
une histoire et ont une également une mémoire. Ce que l’historien Pierre Nora
résume dans une phrase explicite : « la France n’est pas un terrain vague« .

L’histoire nous enseigne que l’on doit toujours le respect à un peuple et que l’on ne peut pas le faire évoluer à son corps défendant. C’est très dangereux de le faire. Exemple de l’histoire de la guerre d’Algérie. Pendant 130 ans, la France a
pensé que l’Algérie était française, mais le peuple algérien ne le pensait pas.
Dans toute l’histoire de l’Algérie, il y a déjà une conscience de
l’appartenance à la nation arabe, une histoire vieille de plusieurs siècles.
130 après, l’histoire s’est réinvitée, il ne pouvait en être autrement. Même si
c’est une page douloureuse, il faut la connaître, l’accepter, il ne faut pas
vivre sur le passé pour mieux éclairer le présent et décider de l’avenir. Il
faut prendre en considération le passé afin d’éviter de faire un certain nombre
d’erreurs, comme aujourd’hui. Si l’on se réfère à Alain Peyrefitte, il semble
que le général de Gaulle l’avait compris : on n’intègre pas des peuples ou des
communautés, on intègre des individus, un à un. Il est donc fondamental, sur le
terrain, de comprendre que lorsque l’on a affaire à des « individus« , il est très important de créer les conditions de leur émancipation pour pouvoir les aider à s’insérer
et, ensuite, s’ils le souhaitent, à s’intégrer. Il me faut maintenant expliquer
pourquoi je fais la différence entre ces deux mots. Les travaux de certains
chercheurs montrent que l’on observe une certaine dégradation de l’intégration
sur le terrain. Il y a vingt ans, les jeunes issus de l’immigration extra
européenne faisaient beaucoup plus d’efforts pour pouvoir s’insérer dans notre
société. Hugues Lagrange qui vient de publier récemment « Le déni des cultures » a mentionné cette dégradation de l’intégration et le phénomène préoccupant est de voir les jeunes de la troisième génération qui se ré enracinent dans leur culture
d’origine.

Cela les éloigne de la culture française et de toute possibilité d’intégration et donc
de la possibilité de devenir des citoyens français, capables de porter le pacte
moral et de le transmettre à leurs descendants. Nous savons que le citoyen est
un sujet de droit auquel se rattache un certain nombre de droits et de devoirs.
Normalement, tout le monde connaît ses droits, mais la difficulté réside dans
les devoirs. Là, on voit que la distance culturelle va aider ou freiner l’insertion
des personnes. Parmi les droits et les devoirs, les droits civiques figurent
dans le préambule de la Constitution et dans la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen, la liberté, les droits sociaux fondés sur la solidarité,
droits à l’instruction, à la santé, les droits politiques. Ce qui fait
aujourd’hui la seule différence qui subsiste entre un citoyen français et un
immigré, un étranger, c’est ce droit politique. Et ce droit politique est remis
en cause par ce que l’on appelle la citoyenneté-résidence qu’un certain nombre
d’hommes politiques veulent instituer, ainsi que les institutions européennes,
pour un certain nombre de raisons. C’est un point de blocage important pour les
Français, eu égard à l’histoire du peuple français, que d’imaginer que l’on
puisse facilement concéder le seul point qui subsiste pour eux, ce droit
politique, le droit de voter et d’être élu, le droit de décider du projet
politique et du modèle de société. Pour appréhender la complexité de ce sujet,
il faut garder à l’esprit que notre pays est soumis à un certain nombre de
tensions qui résultent de champs de forces différents et qui parfois se
conjuguent sur le terrain. Il y a tout d’abord, l’état dans lequel est notre
société, ce qui la fragilise et la rend vulnérable à des menaces nouvelles et
des champs de force nouveaux. Cette situation de fragilité avait été anticipée
par Alexis de Tocqueville. Ce bouleversement que Tocqueville avait prévu,
entraîne une incidence déterminante sur l’école. Or, l’école est un des lieux
principaux où la citoyenneté se construit, avec la famille, en premier lieu, où
se transmet le pacte moral. L’école publique a été fondée avec la mission
première d’assurer la formation des futurs citoyens. Pour les enfants qui n’ont
pas la possibilité d’acquérir ce pacte moral qui fera d’eux des citoyens
avisés, responsables, avertis, si l’école devient défaillante, c’est un grave
problème qui se pose à notre citoyenneté et à son devenir. Ce que Tocqueville
avait anticipé, c’est le fait que dans nos démocraties on observerait « l’utilitarisme et l’infantilisation des esprits qui conduit l’individu, par extension de la cellule familiale, à
s’inscrire dans une vision égocentrique, où chacun devient son propre point de
départ et d’arrivée
« . Tocqueville part de l’analyse de l’égalité qui à
un moment donné aboutit à l’égalitarisme, quand chacun a le sentiment de
détenir la vérité, sera l’égal des autres, ce qui rendra les intéressés très
réceptifs à des schémas de pensée très réducteurs, à des images et des concepts
« prêts à penser« . Ils auront du mal à se projeter dans la vie et ils s’inscriront dans la rencontre du plaisir en temps réel, alors que nous savons que l’école, c’est le lieu de
l’apprentissage du plaisir en temps différé. Nous sommes dans cette situation
où la tyrannie du court terme s’exerce au détriment de l’intérêt collectif du
moyen et du long terme, c’est-à-dire de la construction de la citoyenneté. Il y
a aussi, dans la vision de Tocqueville, l’évolution de notre école au cours des
trente dernières années, notamment par toute une idéologie pédagogique
constructiviste. En résumé, elle consistait à placer l’enfant au centre du
système, ce qui a plutôt tendance à le tourner vers lui-même et non vers
l’extérieur. Ainsi, les enfants ont beaucoup de mal à cultiver le sentiment de
responsabilité envers les autres, le respect des contraintes. Cela demandera
beaucoup de temps aux enfants pour être acquis et va desservir l’élaboration et
de la construction de la citoyenneté. Conséquence concrète sur le terrain, on
apprend de moins en moins aux enfants à gérer la frustration des contraintes
qui accompagnent toute vie collective. La plupart des démocraties ont les mêmes
difficultés. Citation d’Alexis de Tocqueville. Après la famille, puis à
l’école, il y a un autre lieu où le lien avec la nation pouvait se consolider,
là où la nation entrait dans les familles, c’est lorsque les fils partaient au
service militaire. Si le service militaire existait aujourd’hui, c’est une
évidence qu’il devrait être étendu aux filles. Ainsi, l’abandon du service
militaire constitue une faute vis-à-vis de la citoyenneté. Cependant, ce n’est
pas à l’âge du service militaire que les graines de la citoyenneté doivent être
semées. Si elles n’ont pas été semées bien avant, les graines de la citoyenneté
ne peuvent pas germer. Dans ces conditions, dans cette situation, la société
est fragilisée. Quand l’école peine de plus en plus à assurer le volet
éducatif, le volet d’instruction et, pire encore, à semer les graines de la
citoyenneté, nous subissons le « tsunami » des flux migratoires. Tsunami, car les flux migratoires extra européens se sont accentués, avec les difficultés nées de la distance culturelle. On oublie souvent le fait que les individus ne sont pas seulement des corps. Lorsque les individus bougent, il s’agit aussi de leurs cerveaux et de tout ce qui s’inscrit dedans. On se souvient, il y a trente ans, des difficultés auxquelles
les italiens faisaient face pour s’intégrer.

Elles sont les mêmes que celles auxquelles les migrants d’origine extra européens doivent faire face aujourd’hui. C’est une question de temps pour résoudre la
difficulté, pour aider ces jeunes et ces familles à assimiler les codes
culturels de la société d’accueil, sans lesquels ils ne pourront pas s’insérer
et encore moins s’intégrer. On parle de distance culturelle, car la culture au
quotidien se traduit en normes collectives. Même si les gens ne savent pas
définir leur culture, ils vont savoir quel est l’ensemble des normes
collectives auxquelles ils adhèrent et qu’ils souhaitent voir développer dans
leur société. Tsunami aussi, en raison de l’importance des flux migratoires dans
le temps, qui font que nous devons faire face à un phénomène de diaspora.
Dominique Schnapper définit ainsi une diaspora : ce sont des peuples qui
gardent un sentiment de leur unité malgré l’éclatement géographique. De ce
fait, nous n’avons plus un individu seul à intégrer, nous avons à faire face à
un individu membre d’une diaspora. Or, cela change beaucoup de choses, parce
qu’aujourd’hui, les frontières passent à l’intérieur des États. Nous avons
laissé s’installer cela, nous l’avons même renforcé, par une politique de
diversité. Nous avons donné conscience que l’appartenance à une culture
étrangère, à une autre ethnie que l’ethnie française, donne des droits, donne
un regard plus conciliant. À l’école, on permet beaucoup plus aux enfants de
l’immigration qu’aux enfants d’origine européenne et ce faisant, on les
dessert. Il y a trente ans, un enfant, quelle que soit son origine, devait se
plier aux mêmes exigences, à la même hauteur d’exigence. C’était fondamental,
pour aider ces enfants à se construire. Parce que ces enfants viennent de
familles où le taux de natalité est très important, parce que les parents n’ont
pas conscience des efforts qu’il faut développer pour entourer leurs enfants, ne
les aident pas à développer, dès leur jeune âge, leur capacité à s’auto gérer,
à être indépendants, à avoir un libre-arbitre, une pensée critique,
c’est-à-dire tout ce qui fait le noyau et l’identité d’un occidental et, de
surcroît, ces enfants ne possèdent pas les codes culturels, ils doivent les
apprendre, les comprendre… Par rapport aux précédents flux migratoires, on
finit peu à peu, par demander à la société française de s’adapter aux
commandements de la culture des nouveaux entrants, en abaissant les barrières
et les exigences vis-à-vis des personnes d’origine étrangère. En leur
permettant de ne plus faire les efforts qu’ils auraient dû faire, on favorise
la construction de l’identité de l’individu à l’économie. Si l’individu est
soumis à un champ de contraintes, il aura tendance à favoriser celui qui va lui
mettre la plus grosse contrainte, de façon à desserrer l’étau. Au fur et à
mesure que l’État baissait les exigences en termes de codes culturels, en
termes de respect des lois, les enfants et les parents de l’immigration,
puisqu’on parle des éléments d’un groupe et non pas d’individus, ces personnes
ne pouvaient plus résister à la pression du groupe qui est très importante et
que nous avons du mal à imaginer. Cette pression quotidienne aboutit à la construction de l’identité à l’économie, pour faire baisser la pression de son groupe, on se conforme davantage à la pression du groupe, car on sait que l’État et la
République vont se montrer accommodants et vont pardonner. Et même lorsque les
politiques consentent un certain nombre d’accommodements, y compris pour des
éléments décisifs du pacte moral des Français, cela ne signifie pas que les
Français vont accepter cela et que le divorce que l’on observe entre les élites
politiques et le peuple, un divorce que nous observons dans les autres peuples
européens, trouve sa principale source dans le fait que les dirigeants
politiques ont peu à peu oublié que leur mission première est le respect de la Constitution de leur peuple et que tous les principes auxquels les Français tiennent sont, en réalité, inscrits dans leur Constitution. Ce divorce est très préoccupant
pour l’avenir de la démocratie, car sans lien de confiance en la démocratie, on
ne peut plus continuer à déléguer son autorité en tant que citoyen. Le fait de
baisser les exigences, de taire la réalité de la société française, d’où elle
vient et ce qu’elle est capable d’accepter comme accommodements, tout ce qui correspond à son héritage culturel et politique, enferme les enfants qui n’ont pas la
capacité de pouvoir accéder à un certain nombre d’éléments. Le fait que notre
école ait renoncé, non pas de manière spontanée, mais dans le cadre d’un
contexte dans lequel les médias jouent un rôle décisif dans l’évolution de
notre société, ainsi que le monde politique qui a tenté de modifier le
préambule de la Constitution en introduisant le principe de diversité, tout
cela a mené à rompre avec le principe de l’indivisibilité du peuple français.
Car le fait que le peuple français soit un et indivisible correspond à un
produit de l’histoire et on ne peut pas être certain que le peuple français
soit capable d’accepter de revenir sur ce principe. Cette approche par la
diversité a abouti à ce que les personnes qui arrivent, au lieu de tout mettre
en œuvre, et c’est parfois douloureux, pour devenir des individus libres, ont
été obligées de se conformer à leur groupe culturel, dans le cadre de la
politique de diversité. C’est une politique qui a été perverse, il faut en
avoir conscience.

Insertion et intégration. Il est important de définir ces deux concepts car beaucoup de
jeunes ne comprennent pas ce que la société française attend d’eux et encore
moins la communauté nationale française. On a confondu deux concepts,
l’insertion et l’intégration. L’insertion, c’est simplement le fait de
respecter les normes collectives de la terre sur laquelle vous vous trouvez.
C’est ce que font nos compatriotes, lorsqu’ils se sont expatriés. Ils
n’adhèrent pas nécessairement aux normes collectives qui sont le produit de
l’histoire culturelle et politique de la terre qui les accueille, mais ils sont
conduits à s’y soumettre, à s’y conformer à les respecter. L’intégration est
toute autre chose. C’est un processus long, dont on ne peut pas, à priori,
définir le terme. C’est un processus individuel, d’où l’importance d’abord de
pouvoir émanciper les personnes pour qu’elles aient l’accès et la force de
venir s’introduire dans ce processus d’intégration. Lorsque ce processus
d’intégration aboutit, lorsqu’il est réussi, il conduit à l’assimilation, à la
fusion des populations. Ce choix d’entrer dans le processus d’intégration, se
joue entièrement sur le registre moral et affectif. Autant, nous devons obliger
à l’insertion, car on ne peut pas accepter le refus de l’insertion,
c’est-à-dire le refus d’obéir à la loi commune, aux codes comportementaux an
vigueur dans la société, autant l’intégration de peut pas être imposée. Car
c’est un choix personnel qui dépend du cursus de chacun, de sa force morale.
L’intégration, c’est le fait, lorsqu’on réussit ce processus, d’inclure ses
descendants dans un arbre généalogique qui n’est pas celui de ses ascendants.
Il y a rupture. Pour les êtres humains, qui dit rupture, dit souvent
souffrance. Il faut donc que la personne ait en elle la force d’accepter de
mettre ses ascendants en face de la réalité, car c’est très douloureux pour des
ascendants de se dire : « mon enfant, à cause d’une rupture dans la famille, va faire partie d’un autres peuples, va épouser une autre culture, un autre héritage, va construire un autre imaginaire avec d’autres héros, etc« . On voit que dans ce processus d’intégration, ce qui est très important, c’est que lorsqu’on impose une
identité, alors que l’individu se forge sa propre identité à l’issue du
processus d’intégration et, à un certain moment, il constate que son identité
se rapproche de celle du peuple d’accueil et il va donc accepter de se sentir
concerné beaucoup plus par le devenir de sa société, de sa citoyenneté. À ce
moment, il va accepter d’avoir une autre identité qui ne sera pas celle de ses
ascendants. Mais si l’on plaque l’identité et qu’elle devienne artificielle,
superficielle, plaquée sur une autre identité, surgit un phénomène de dissonance
identitaire qui peut produire beaucoup de violence. Selon la culture dans
laquelle la personne a été éduquée, ou a grandi, cette violence s’exercera
plutôt vers soi, ou plutôt vers les autres. Cette dissonance identitaire
rappelle ce qui s’est produit en Algérie avec la colonisation. La France est
venue, de l’extérieur, en imposant une identité sans avoir créé les conditions
pour que les personnes puissent la construire brique à brique et un jour elles
se disent « je me sens plutôt de cette identité… et nous allons rejeter cette identité artificielle« , ce qui fut la cause de la Guerre d’Algérie.

Des travaux de recherche menés en Seine Saint-Denis aboutissent à la conclusion que parmi les jeunes de l’immigration, il y a décorrélation complète entre les papiers d’identité et leur identité. La possession des « papiers » n’implique pas qu’ils soient citoyens, qu’ils participent au projet collectif, qu’ils partagent le patrimoine commun. Dire la vérité à tous les jeunes est important, sur les normes culturelles collectives, quelle que soit leur origine, leur dire qu’il n’y a pas d’ascenseur social dans la société française. Il n’a jamais existé. La réussite a toujours été un long parcours jalonné d’obstacles. La réussite est l’engagement de la famille, de l’élève. Parfois la réussite
prend plusieurs générations, chaque génération essayant de réduire le gap, en
termes d’égalité des chances, par rapport aux autres enfants. C’est très
important de le dire, car on observe aujourd’hui que dans notre école, les
enfants même de souche européenne, parce qu’ils ne connaissent pas la vérité,
démissionnent dans la mesure où leurs parents n’ont pas les capacités
intellectuelles ou financières, n’ont pas les mêmes repères que les familles
averties, leurs enfants échouent également. Le fait d’emprisonner toute cette
jeunesse dans l’ignorance de la réalité et de ce que signifie la réussite dans
la société française est proprement dramatique pour notre société et pour notre
citoyenneté. On comprend qu’une personne qui ne réussit pas son insertion n’a
strictement aucune chance de réussir son processus d’intégration. Elle ne sera
pas acceptée par la communauté française. Quelqu’un qui ne respecte pas la
structure et les fondamentaux de la culture française ne sera pas acceptée,
parce que, en réalité, dans le processus d’intégration, nous sommes en présence
de deux constructions: le nouvel entrant, le requérant et la communauté
nationale d’accueil. Si le nouvel entrant ne se conforme pas à un certain
nombre de codes comportementaux, n’adhère pas aux principes du pacte moral, la
communauté ne va pas l’accepter, ce que les politiques ont beaucoup de mal à
comprendre.

Ils pensent que le fait d’octroyer les papiers d’identité français, fait de tout le monde un Français. Ils pensent que c’est eux qui décident, alors que ce ne sont pas eux
qui sont détenteurs de cette décision, mais le peuple. La souveraineté vient du
peuple, c’est lui qui délègue son pouvoir politique et c’est lui qui va décider
sur le terrain si, oui ou non, il accepte le nouvel entrant. Ce qui a changé
par rapport aux flux migratoires intra européens, en plus de la culture, c’est
la connexion permanente avec le pays d’origine. Le monde a changé. Avec
l’évolution des moyens de communication, les personnes sont en contact
permanent avec leur pays d’origine, avec leur mode de fonctionnement, avec
leurs codes culturels d’origine, avec le lien affectif. Auparavant, lorsque les
européens arrivaient en France, c’était très douloureux pour les parents. Ils savaient
qu’ils n’auraient pas la possibilité de retourner dans leur pays d’origine et
savaient qu’ils étaient obligés de laisser leurs enfants s’inscrire dans
l’arbre généalogique de la société d’accueil. Ils n’avaient pas d’autre choix.
Aujourd’hui, ce n’est pas du tout le cas et cela a tout changé, pour les
enfants. C’est pourquoi nous avons des difficultés sur le terrain, car un
certain nombre de jeunes ne savent plus où ils sont. Ils essayent parfois de se
conformer, de se comporter comme leurs petits jeunes copains et puis,
régulièrement, ils sont en contact avec l’autre côté de la méditerranée, le
Maghreb, l’Afrique, etc. Et on leur remet une couche de leur culture, de leurs
codes sociaux, de ce que l’on attend de leur part, et ce n’est pas toujours en
adéquation avec ce qui se passe en France, à tel point que tout le monde sait (Rapport Bentolila), que le problème principal qui se pose aujourd’hui aux enfants de
l’immigration dans leur parcours d’insertion dans notre société, réussite
scolaire, puis insertion professionnelle, est que l’enfant qui est dans sa
famille, s’oppose à l’élève qui doit être à l’école. Comment réussir dans ces
conditions ? Avec cette question de la diversité, il est tout à fait naturel
que, lorsqu’on organise la société en communautés différentes, on amène les
gens à se compter et à tirer avantage de leur force politique et des avantages
de leur nombre. Quel intérêt un groupe aurait-il à laisser ses membres
s’émanciper et lui échapper ? Aucun. Nous avons observé, ces dernières années,
qu’au fur et à mesure que les cercles politiques versaient dans le
multiculturalisme, dans le communautarisme, le groupe pouvait obtenir des
avantages, par exemple la Charte de la Liberté dans le monde de l’entreprise,
et a pu augmenter la pression sur chacun de ses membres. On a vu à l’œuvre ici,
ce qui se passe dans le pays d’origine où le groupe est très fort, où
l’individu n’existe pas, car il est soumis à la loi du groupe. Le groupe a
accentué la pression sur chaque individu. Chacun a commencé à surveiller sa
sœur, son voisin, etc. pour faire en sorte qu’il y ait, à un moment donné, une
harmonisation des codes comportementaux, de façon à identifier les gens qui
sont dans le groupe, de savoir qui risque d’échapper au groupe et donc
d’altérer son potentiel de pression sur le politique, afin d’obtenir un certain
nombre d’avantages.

Par conséquent, sur le terrain, si on veut aider les jeunes, il ne faut pas leur rappeler leurs origines. Il faut leur tenir le discours qui va leur permettre de comprendre
que pour réussir, ils doivent incorporer certains éléments culturels, même
s’ils ne sont pas d’accord avec eux. Lors d’enquêtes menées à l’occasion des
interventions de la Halde sur des problèmes de discrimination, on se rend
compte qu’au lieu de crier au racisme et à la discrimination, la Halde devrait
analyser la situation pour montrer que, en réalité, la non appropriation et
l’ignorance des codes culturels de la société d’accueil handicape les jeunes
dans leur processus d’insertion en général et dans le monde économique en
particulier. Autre exemple, le cas du CV anonyme. On s’est aperçu qu’en ne
mettant pas le nom de la personne, les entreprises deviennent objectives et ne
laissent plus passer les fautes d’orthographe, de grammaire, les lacunes dans
le CV, les trous dans la formation… Alors qu’avec la candidature d’une personne
d’origine étrangère, les entreprises comprennent qu’en une génération, il est
très difficile de combler le gap culturel, d’avoir la même égalité des chances.
En conséquence, la possibilité pour une personne d’origine étrangère de voir son
acte de candidature déboucher sur un entretien est passée de 1/10 à 1/22. Toute
cette politique qui a consisté à mentir aux jeunes, non seulement ceux de
l’immigration, mais aussi aux autres jeunes, ceux qui ont perdu tout repère
dans la société, cela a abouti au fait que tous ces jeunes sont remplis de
haine. Tous les jours, on leur répète que la société ne fait rien pour eux, que
la société ne donne pas assez… Or l’État a consacré 42 milliards d’€, rien que
sur la rénovation urbaine en dix ans. L’État s’est énormément investi dans ces
sujets. Mais d’abord, ce n’est pas forcément une question de moyens. On ne
signale pas de phénomènes de d’incivilités ou de violences dans le département
de la Creuse, là où pourtant le niveau de vie et les budgets publics sont très
inférieurs à ceux de la région parisienne.

Mais, le fait de répéter à des populations qu’on les rejette, interdit de travailler à créer
un lien de fraternité, indispensable pour vivre ensemble. Il est donc
fondamental de rappeler ce que fait l’État et ce que tout le monde fait quotidiennement pour aider ceux qui souhaitent s’en sortir. C’est important de dire aux
personnes qui sont d’une culture fataliste qui les déresponsabilise : « vous avez, vous aussi, quelque chose à faire, vous avez un rôle à jouer. On va vous donner votre chance, mais cela ne peut pas arriver sans que vous vous investissiez, tout le monde est là pour vous aider« . C’est cela qui va créer le sentiment de fraternité au
contraire du financement des associations de lutte contre un prétendu racisme
des Français. Pour l’instant la Halde a disparu. On pouvait penser que son rôle
pouvait être utile, mais en réalité, pas du tout. C’est comme dans une famille.
Si on répète à un enfant : « tes parents ne sont pas bien, tes parents ne font pas ce qu’il faut…« . Si l’enfant se rebelle contre ses parents et finit par les haïr, il ne faut pas
s’en étonner. En fait, nous avons perdu le fil de cohérence qui existait pour
les autres migrants, ce que faisaient les parents en construisant ce que l’on
peut appeler un « socle de reconnaissance » par rapport à la France, en disant « La France a joué un rôle décisif dans notre destin, puisqu’elle nous a accueilli, nous permet de nous scolariser, etc« .
Donc le rôle des parents dans l’envol de la citoyenneté est décisif. Et le fait
de répéter que les parents sont déresponsabilisés, dépassés, ne les aide pas
non plus à s’affirmer par rapport à leur groupe. Et nous sommes dans une
société où ce sont les parents qui sont responsables de leurs enfants. On est
effrayé de voir que l’on rend les enfants coupables, de plus en plus jeunes. Ce
sont les parents qui doivent être mis en face de leurs responsabilités.
L’enfant, lorsqu’il est tout jeune, possède une mémoire non volatile. Ce sont
les parents qui remplissent les lignes de codes qui transmettent leurs codes
culturels. On le voit dans certains territoires, les parents ne sont pas du
tout dépassés, ils ont parfaitement transmis tous les codes culturels qui font
que leurs enfants, en classe, ne parviennent pas à se transformer en élèves.
Parfois ils affrontent les enseignants, surtout lorsque ce sont des femmes,
parce que la question des rapports homme/femme, qui fonde notre société, est
une difficulté majeure dans certaines cultures où les hommes et les femmes ne
sont pas perçus comme des êtres libres et égaux. Si on n’a pas en tête toutes
ces difficultés et si on se dit que les pauvres parents ne doivent pas être
responsabilisés, que l’on ne va pas leur répéter qu’ils doivent assumer leur
rôle, veiller à ce que leurs enfants ne restent pas dehors la nuit, aient assez
de sommeil pour bien mémoriser ce qui se dit en classe. Alors, si on renonce à
transmettre ces éléments, les enfants sont en complet décalage et ayant
conscience de leur déclassement, même les bons élèves, parce qu’ils ont
conscience qu’ils ne maîtrisent ou qu’ils ne possèdent pas les codes culturels
de la société française, font, au collège, petit à petit décroitre leurs
résultats scolaires parce qu’ils ont la frayeur qu’on les oriente vers des
lycées en dehors de leur tribu, en dehors de leur quartier. Ils ont conscience
qu’ils sont en décalage et si nous ne faisons pas en sorte que les enseignants,
que l’école, que notre société dans son ensemble, transmette les bonnes
pratiques à tout le monde et traite tout le monde en égal, ces enfants seront
complètement défavorisés.

Les travaux sur les révolutions dans le monde arabo-musulman montrent qu’il y a une certaine logique. Certes, il y a des ressorts politiques, il faut changer les
gouvernements en place, il y a des ressorts sur les attentes des peuples, des
ressorts économiques pour lutter contre la corruption et la non distribution
des richesses, mais il n’a observé nulle part un ressort d’ordre social, une
demande d’évolution des mœurs. Il y a la revendication d’une continuité
parfaite entre les mœurs et les traditions des familles et les jeunes et ce
sont ces flux migratoires que nous accueillons. Il faut comprendre que plus ces
flux migratoires sont importants, plus ils reconstituent leur société d’origine
ici et, dans la mesure où il n’y a aucune revendication d’évolution des mœurs,
comme il y a pu y en avoir en Europe, c’est une plus grande préoccupation pour
nous. Puisque vous êtes des acteurs de terrain, il vous faut lutter contre une
certaine tendance à vouloir sélectionner les enfants en fonction de leur niveau
scolaire. En réalité, ce qui se cache derrière les résultats scolaires, c’est
que les professeurs qui ne supportent plus les enfants qui ne sont pas capables
de vivre en société selon les règles de la société française, mettent de côté
ceux qui n’ont pas le niveau. Certes, il y a des enfants qui sont inaptes à la
vie collective qui, chaque jour, empoisonnent la vie des enseignants et des
autres élèves. Dans certains quartiers, il y a des élèves, même d’origine
européenne, qui sont obligés de se conformer à une culture étrangère pour ne
pas être rejetés. Ces jeunes-là qui n’ont pas forcément un très bon niveau
scolaire, n’ennuient personne. Il n’y a aucune raison de faire des classes par
niveau et de priver ces jeunes, quelle que soit leur origine culturelle,
d’êtres des locomotives de classe.

Une classe peut avancer et s’accrocher au savoir, que s’il y a des enfants qui par leur comportement, par leur savoir, peuvent constituer des exemples pour les autres élèves. Il faut ainsi dissocier les problèmes et les cas de ceux qui relèvent de la
psychiatrie, car ils n’arrivent pas à vivre avec les autres, car il s’agit
souvent lié à des carences affectives profondes dans l’univers de groupes très
normés qui étouffent les individus et qui n’ont jamais entendu parler de
Françoise Dolto, ni de Sigmund Freud. Ces enfants ont besoin d’un
accompagnement adapté avec des assistantes sociales, des psychiatres, avec un
encadrement capable d’en faire des individus capables de vivre avec les autres.
C’est à dissocier d’avec les enfants tout à fait calmes, sages, capables de
vivre avec les autres, mais qui n’ont pas les résultats scolaires et pour
lesquels l’Éducation nationale a mis en place des dispositifs de rattrapage
pour qu’ils puissent suivre. Ce qui n’empêche pas d’être plus exigeant avec les
brillants élèves, de leur donner plus de travail. Cette mixité au niveau de
savoirs est essentielle pour apprendre à vivre ensemble et pour le coup, cette
diversité est la seule qui soit une richesse, celle de travailler avec ceux qui
n’ont pas les mêmes capacités, les mêmes vitesses de réflexion, qui abordent
les problèmes différemment.

Autre élément, très souvent les politiques sur les valeurs se portent sur les filles et les
femmes et oublient les garçons et les pères. En réalité, dans ces groupes
culturels, ce sont les garçons et les pères qui conservent les clefs pour ne
pas reproduire l’asservissement des filles, le garçon-roi, etc. C’est une façon
de ne pas aller vers la facilité qui consiste à s’intéressant aux filles qui
ont en général un meilleur niveau scolaire et aussi parce que l’on constate une
régression dans le recrutement des filles pour des questions relatives aux
codes culturels et aux problèmes relatifs à la laïcité. À propos des
difficultés et du refus d’intégration envers ceux qui entrent dans notre
société, un point important est de se demander pourquoi insister sur la
réussite scolaire, la vraie, pas celle qui consiste à donner des cours
magistraux à ceux qui n’ont pas le niveau et qui sont à 67 % en échec à la
fin de la première année, comme à la Sorbonne, ce qui est un gâchis, une perte
de temps, une désillusion pour les jeunes et pour leur famille. Un enfant qui
possède les codes culturels, les normes collectives de la terre d’accueil,
quelle que soit son origine, mais qui ne réussit pas à l’école, cela ne veut
pas dire qu’il ne pourra pas réussir son insertion sociale dans la société. En
revanche, un enfant à qui la famille ou l’école n’aura pas réussi à transmettre
les codes culturels, n’aura quasiment aucune chance de s’insérer dans la
communauté nationale, d’où l’urgence de prendre conscience que tous les enfants
doivent remplir dans ce sens au plus vite, au plus tôt leur mémoire non
volatile, dès l’école maternelle. Auparavant cette prise de conscience se
faisait au collège, au moment où apparaissaient les problèmes de l’adolescence,
en confondant source et symptômes. À propos de la question de l’égalité
homme/femme et de la liberté individuelle, Emmanuel Todd dit : « au cœur du système familial, le statut de la femme bas ou élevé est essentiel. D’abord, parce qu’il défit en lui-même un aspect de l’existence sur lequel les peuples ne sont guère prêts à transiger, ensuite, parce que l’échange des femmes est, lorsque deux groupes humains entrent en contact, un mécanisme anthropologique fondamental. S’il se produit, il implique une dynamique d’assimilation, s’il est refusé, une trajectoire de ségrégation« .

Dans nos rapports avec l’immigration intra européens, les italiens et les
espagnols se sont mélangés. On ne peut pas dire que tout s’est très bien
déroulé. L’historien Pierre Milza montre qu’entre 1870 et 1940, seul un italien
sur trois a réussi à s’assimiler, même avec une culture très proche en
partageant les grandes pages de l’Antiquité, de la christianité, de la
Renaissance et même la Révolution que Napoléon avait exportée.

Aujourd’hui, avec des conditions plus difficiles, mieux vaut ne pas utiliser des politiques avec des effets pervers qui risquent, par exemple de la réémergence du
phénomène de l’ancrage religieux dans certaines cités. L’explication de ce
phénomène est plutôt à rechercher dans l’échec du panarabisme et la recherche
d’une nouvelle fierté dans les pays de l’autre côté de la Méditerranée, car
nous avons recréé ici les mêmes types de populations, en raison des flux
migratoires et de la démission de la société et des politiques. D’autres
éléments sont à citer sur la question de la citoyenneté : les intérêts du
patronat qui joue un rôle très important sur la politique de diversité, sur
l’égalité des chances, sur la discrimination positive en fonction de
l’appartenance ethnique ou raciale, beaucoup d’intérêts se conjuguent pour
créer aujourd’hui dans chaque pays des tensions sur la citoyenneté. C’est un
peu la même chose dans d’autres pays, par exemple 55 % des allemands veulent
revenir au Mark, ce qui signifie un retour à un certain nationalisme et au
refus de voir le peuple se dissoudre.

Le thème de la citoyenneté est aujourd’hui décisif et il faut le considérer de façon positive, cohérente, avec le retour de la raison, de façon à vous mobiliser. Avec le
philosophe Marcel Gauchet, on peut dire que dix siècles d’une inventivité
extraordinaire, ne s’effacent pas en quelques années. De même, avec Max Gallo,
on peut dire que les peuples sont une réalité dans la partie qui se joue et que
l’on ne peut pas bafouer leur identité. Il faut œuvrer pour le retour à des
éléments fondamentaux du pacte moral de chaque peuple européen, car les mêmes questions se posent de la même façon dans tous les pays qui ont accueilli de grands flux migratoires, qui ont été soumis à une libéralisation forcenée, faisant que les
individus se transforment en consommateurs au détriment des membres de la
communauté politique, il est très important que chacun œuvre sur le terrain
pour que les choses se passent d’une manière pacifique, sans une nouvelle
rupture dans notre histoire.

Questions de l’assistance

Quel regard portez-vous sur la diversité religieuse ?

Il faut garderen mémoire que plus on facilite l’installation de frontières entre les êtres,
moins on réussira la cohésion, la cohésion nationale et la cohésion sociale.
Pour Pierre Rosanvallon, en cas de crise, tout se ramène aux fondamentaux ;
c’est-à-dire le lien entre la citoyenneté et l’être social. En cas de
difficulté, plus on aura permis d’ériger des barrières entre les êtres, des
barrières entre les uns et les autres, plus la solidarité se jouera sur la base
des frontières qui auront été établies. Aujourd’hui, lorsque l’on parle de
cohésion nationale, on oublie trop souvent que le fait de remettre en causer la
cohésion nationale, de la fragiliser, peut aboutir à la disparition d’une
certaine forme de solidarité. Il y a une très grand différence entre une
pratique religieuse qui fait qu’une fois par semaine ou toutes les quelques
semaines, la religion va se réinviter. Et on va penser que cet ancrage qui fait
qu’avec la religion vous êtes un personnage différent des autres, parce que
peut-être on voit le monde à travers cette religion. Il y a une grande
différence avec le fait que la religion puisse s’inviter en permanence, vous
rappelle en permanence que vous êtes un membre de telle communauté, avant
d’être un citoyen. Ce qui apparaît, c’est une hiérarchie entre le politique et
le religieux. C’est un lien que les Français ont tranché. Et dans les enquêtes,
on voit que les Français ne reviendront pas sur ce lien qui correspond à un
héritage. Si on l’adapte, il faut voir sur quoi on l’adapte. Dans le monde de
l’école, Jules Ferry l’avait prévu, il avait voulu la séparation pour signifier
que l’être, l’enfant est un citoyen en devenir, qu’il faut pouvoir accéder à
son mental, que lui-même plonge dans le savoir, puisse être déconnecté d’un
certain nombre d’influences. Sinon, ce sera difficile de le voir être un
citoyen éclairé, capable de disposer véritablement d’une liberté de pensée et
de jugement, qui lui soit propre et pas imposée par un certain nombre de
forces. Depuis que l’on a essayé d’assouplir, en disant, par exemple, le repas
du midi, ce n’est qu’un détail, on a en réalité fait que l’enfant qui se pensait
comme les autres à commencé à se penser comme un croyant et il a commencé à
regarder ses petits camarades, non plus comme des élèves comme lui, mais comme
des personnes de la même religion ou pas. Et on a vu se produire, à partir de
quelque chose d’anodin, la disparition du lien entre l’enfant et l’élève.
Aujourd’hui, dans certaines classes, les élèves qui réussissent et qui sont
d’origine étrangère, se voient insultés par leurs camarades au motif que
réussir, c’est déjà vouloir adopter le pacte moral des Français et sont traités
de « sale céfran« . Autre exemple de ce qu’on peut autoriser ou non : dans le monde de l’entreprise, certaines personnes au niveau d’ingénieurs, au nom de leurs préceptes religieux, ont refusé qu’une femme devienne leur chef. Résultat, le groupe a renoncé à promouvoir la femme en question, sinon les ingénieurs n’auraient pas accepté de
travailler avec elle. En fait, en croyant servir l’un, on dessert, car on
enferme l’autre. En matière d’accommodements, la personne qui n’est pas libre,
qui est le sujet d’un groupe, n’a plus d’excuse et tous les autres membres du
groupe lui commandent de se conformer. Dans des considérations de cet ordre, il
est très important que la décision vienne de l’extérieur du groupe. Exemple de
la demande de réquisition d’un lavabo dans les locaux du Haut Conseil à
l’Intégration… Donc, attention ! Au lieu de travailler à la cohésion des
équipes, on risque de faire en sorte que les gens, au lieu de se percevoir
comme des êtres humains, vision humaniste, se perçoivent comme appartenant à
une communauté bien particulière. Lorsque l’on commence dans ce type
d’accommodement, on ne sait pas où cela peut s’arrêter.

Comment pratiquer la réorientation en cas d’échec scolaire ?

Il ne faut jamais discriminer. Il faut permettre à l’enfant d’aller le plus loin possible.
Mais on s’est habitué à ne pas donner de bagage à l’enfant. Il y a régulièrement
des discussions pour savoir s’il faut noter, au risque de décourager.

Mais si on ne donne pas de notes, l’enfant ne sait pas où il en est, à moins que les parents avertis qui suivent tous les jours les devoirs et si l’enfant ne suit pas, ils
payent des cours particuliers. Dans l’enseignement supérieur, on a ce phénomène
de réorientation parce que on laisse croire à la base que l’on peut réussir
sans effort, comme le copain d’à côté qui lui travaille et fait des efforts.

Et les étrangers qui viennent étudier en France et qui sont empêchés de rester pour y
travailler ?

C’est la fuite des cerveaux. Elle se produit aussi pour les Français et on en parle très
rarement ! Il faut être cohérent : tant d’années après la décolonisation, les
études supérieures et les mariages constituent un très fort flux migratoire.
C’est la démonstration de ce que décrit Emmanuel Todd c’est-à-dire un refus
d’intégration et d’assimilation puisque les conjoints sont recherchés de
l’autre côté de la Méditerranée. En ce qui concerne les étudiants, on sait que
la filière des études est une tentative de s’implanter en Europe. Au-delà des
individus, il faut voir que ce que nous organisons en réalité, c’est la
faillite de leurs pays d’origine. Comment ces pays pourront-ils, un jour, faire
une véritable révolution économique et industrielle, si leurs têtes pensantes,
ceux qui sont capables de tirer leur pays vers le haut, sont partis parce
qu’ils se sont inscrits dans des destins individuels et non pas collectifs. Il
faut se borner à faciliter le fait que les étudiants fassent un séjour dans
notre industrie, pour ensuite retourner dans leur pays avec certaines façons de
travailler ou avec des projets. Mais organiser le pillage des talents des pays
du sud et ensuite s’étonner que ces pays n’aient pas la possibilité de s’en sortir,
on ne peut pas être d’accord. Ce serait à nous d’investir dans des pôles
universitaires au Maghreb ou en Afrique ce qui donnerait à ces populations une
impulsion économique et une fierté dans la recherche, plutôt que de les laisser
avec uniquement la religion pour chercher le réconfort.

De quand datez-vous la nation française comme on la connaît aujourd’hui ?

On parle du XIXe siècle avec la montée du nationalisme. En fait, c’est une question à poser au peuple et lui demander quand à t-il eu le sentiment d’avoir adhéré à une
communauté de valeurs, une communauté politique. Max Gallo pense que l’acte
fondateur c’est le baptême de Clovis. Certes, la naissance de la République est
aussi un moment important, mais beaucoup d’éléments font partie de l’héritage,
de l’inconscient collectif des Français, un élément que l’on a tendance à
gommer aujourd’hui. Comme le peuple allemand, le peuple français n’est pas né
d’hier. Dans l’héritage il y a énormément de principes humanistes, de
pratiques, même de l’apport de l’héritage chrétien. Ce n’est pas un hasard si
la France soit née sur une terre chrétienne. Il y a beaucoup de choses, même si
elles ne sont pas formalisées qui restent dans l’inconscient collectif et que
l’on ne peut pas gommer impunément, qui est transmis par les familles, comme
l’amour de l’autre, le fait de considérer l’autre comme appartenant à l’espèce
humaine, exempt de racisme. Ce comportement que les Français ont, la certaine
culture qu’ils possèdent, la somme des normes collectives qu’il serait
impossible à dater, même si certains faits disparaissent des programmes
d’histoire… On vient de s’apercevoir qu’en classe de première on avait oublié
tout simplement la France au profit des régions et des territoires de l’Europe.
C’est une manière de casser l’importance des peuples européens, parce qu’une certaine politique et certains fonctionnaires européens considèrent que ce sont les
nations qui empêchent l’Europe d’aboutir. C’est pourquoi la Cour de Karlsruhe a
dit stop, afin que les décisions européennes soient compatibles avec la Constitution
de la nation allemande.

En conclusion, beaucoup de chercheurs souffrent de constater que leurs
papiers ne sont pas évoqués et ils y voient une forme de censure sur beaucoup
de choses qui contredisent ce qui se trouve sur les médias ou chez les
politiques. Merci.


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