Archives pour la catégorie Esprit de connaissance

Pour mettre en valeur l’ensemble des savoirs qui donnent à l’homme cultivé la capacité d’exercer son autorité.

La guerre d’Algérie n’aura pas lieu !

L’explosion des inégalités dans les pays de l’Union européenne, sur fond de croissance faible ou nulle, un endettement public insupportable, un phénomène de polarisation dans lequel les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus nombreux, une population de jeunes au chômage ou entraînés dans des emplois de services peu qualifiés et mal payés, des classes moyennes qui se sentent menacées et qui cherchent des boucs émissaires, émeutes, guerres civiles, l’engrenage de la violence…, ce funeste enchaînement ne vous rappelle rien ?

 « Un peuple qui oublie son passé, se condamne à le revivre ».

En 1935, Jean Giraudoux publiait « La guerre de Troie n’aura pas lieu !«  Avec lucidité, l’auteur voulait dénoncer la passivité de l’opinion publique et le cynisme des hommes politiques qui voyaient venir la guerre, mais ne faisaient rien de courageux pour l’éviter. Sa pièce de théâtre voulait être un avertissement devant la montée du fascisme et du totalitarisme sur fond de crise économique.

Cette année-là aussi, une chanson obtenait un succès phénoménal, qui se prolonge encore aujourd’hui. Intitulée « Tout va très bien, Madame la Marquise ! », son ironie féroce la faisait fredonner par des Français inquiets de la tournure des événements, inquiets, mais lucides, à l’image de son interprète, à l’époque de sa création, Raymond Ventura, qui était juif.

Et aujourd’hui ? Faut-il écrire « La guerre d’Algérie n’aura pas lieu ! »? En France, le taux de chômage atteint des sommets, sur fond de crise financière, économique et sociale. L’absence de croissance a pour conséquence d’exacerber la fracture sociale, l’individualisme, le communautarisme, la montée d’un « populisme » inquiétant dans la perspective d’échéances électorales importantes. Pour éviter de revivre de nouvelles pages d’une histoire tragique, violente, dont les émeutes urbaines de 2005 ont constitué une préfiguration, mieux vaut mobiliser ceux qui veulent agir. Cette référence à la question d’Algérie est-elle pertinente ? Sans doute, parce que les difficultés actuelles sont la conséquence « d’événements » qui ressemblent à ceux qui ont abouti à une page tragique de l’histoire de France : la chute d’une République, la naissance d’une autre, l’exode des pieds-noirs, les nombreuses victimes du « maintien de l’ordre« , une guerre civile franco-française et algéro-algérienne.

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La citoyenneté aujourd’hui

Cette conférence à été prononcée le 6 octobre 2011 par Malika Sorel, membre du Haut Conseil à l’Intégration, au cours de la Journée de formation des R L J C, organisée à l’École militaire par la Commission Armées-jeunesse.

Le travail d’engagement sur la citoyenneté doit être accompli chaque jour par les citoyens. C’est fondamental et puisque la situation est difficile, comme vous le savez, il convient de tenir un langage de vérité.

La plupart des difficultés que nous rencontrons aujourd’hui chez les jeunes, quant à leur éducation à l’école ou leur place dans la société, vient du fait que nous leur  avons caché un certain nombre de vérités. Cela les a desservis dans leur  parcours, dans leur évolution. Situation particulièrement dramatique pour des enfants dont la culture est d’origine non européenne. Ils ont des difficultés  pour comprendre ce que la société attend d’eux. Je montrerai ce qu’il convient de faire, ou de ne pas faire sur le terrain, pour éviter d’enfermer certains jeunes dans leurs origines culturelles, ce qui va freiner leur insertion dans la société. Il y a un certain nombre de concepts à définir car nous sommes dans un grand flou. Il est important de savoir quels sont les mots qui sont employés, à quoi ils correspondent. Car lorsque nous devons travailler avec des personnes non européennes, elles ne placent pas nécessairement le même contenu sur les mêmes mots. Lorsque nous regardons les autres avec une grille, avec une vision européenne, nous avons toutes les chances de nous tromper. Il faut connaître l’envers du décor, savoir à qui nous avons affaire, non pas pour abonder dans leur sens, mais comme pour les militaires, la connaissance du terrain n’oblige pas à se plier à ce que ceux qui se trouvent en face, veulent de nous.

Dans le thème proposé pour cette intervention, je retiens le terme « aujourd’hui » : la citoyenneté aujourd’hui. Comme si cette citoyenneté avait changé, comme s’il y avait une citoyenneté binaire et qu’à un certain moment il y aurait eu une rupture, une discontinuité. Il faudrait alors dater la citoyenneté d’aujourd’hui par rapport à un « hier« . Qu’était-ce que la citoyenneté hier ?

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Si jeunesse savait…

Proverbe

« Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. ». Henry Estienne dans Les Prémices.

Henri Estienne, né à Paris en 1528 et mort à Lyon en 1598. Il fut imprimeur, philologue, helléniste et humaniste français. Il a donné son nom à une célèbre école d’arts graphiques à Paris.

Les Prémices, ou le premier livre des proverbes épigrammatisés, ou des épigrammes proverbiales rangées en lieux communs, a été publié en 1595.

Citation du général Douglas Mac Arthur

Extrait de son discours d’adieu aux étudiants de l’Académie militaire de West Point en 1962.

« On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années : on devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. Les années rident la peau ; renoncer à son idéal ride l’âme. Les préoccupations, les doutes, les craintes et les désespoirs sont les ennemis qui, lentement, nous font pencher vers la terre et devenir poussière avant la mort.

Jeune est celui qui s’étonne et s’émerveille. Il demande, comme l’enfant insatiable : Et après ? Il défie les événements et trouve de la joie au jeu de la vie. Vous êtes aussi jeune que votre foi. Aussi vieux que votre doute. Aussi jeune que votre confiance en vous-même. Aussi jeune que l’espoir propre au sens. Aussi vieux que votre abattement.

Vous resterez jeune tant que vous resterez réceptif. Réceptif à ce qui est beau, bon et grand. Réceptif aux messages de la nature, de l’homme et de l’infini. »

La JDC a remplacé la JAPD en janvier 2011

La Journée Défense et Citoyenneté (JDC) remplace, dès cette année, la Journée d’Appel et de Préparation à la Défense (JAPD).
Cette transformation ne se limite pas à un changement de nom, mais s’accompagne
de plusieurs modifications dans le déroulement de la journée elle-même. Prenant
en compte l’évolution des pratiques des jeunes, cette nouvelle Journée propose
aux garçons et aux filles de 17 et 18 ans, une plus grande interactivité, plus
d’échanges et des supports mieux adaptés à leurs attentes en matière
d’information.

L’objectif de la Journée Défense et Citoyenneté est d’informer les jeunes Français sur leurs droits et devoirs en tant que citoyens, les aider à mieux comprendre le
fonctionnement des institutions de leur pays et à être plus sensibles à
l’esprit de Défense et de Sécurité. Elle s’inscrit dans le parcours de
citoyenneté dont elle est la dernière étape.

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Revenons aux fondamentaux de l’expression par l’écriture, l’orthographe…

« Alberto Moravia, pourquoi la sexualité est-elle un thème permanent dans votre œuvre? Cf. « Comment la littérature peut changer votre vie ». À cette question, l’écrivain avait répondu.

« J’ai commencé à écrire à la fin des années 1920, à une époque où les valeurs traditionnelles européennes s’étaient écroulées. Les conséquences de la guerre 1914-1918 ont détruit l’humanisme hérité du siècle des Lumières. Les intellectuels ont recherché alors des valeurs solides et stables. La sexualité est une réponse, puisqu’elle est à la base des relations humaines. Une situation qui ne peut être démentie. Un domaine qui, avec Freud et la psychanalyse notamment, ont créé un nouvel humanisme, celui des sciences sociales modernes, montrant l’homme tel qu’il est, dans ses rapports avec la réalité, sans médiation morale, ni même verbale ».

En cette années 2010, un siècle plus tard, nous nous retrouvons dans une situation comparable. La crise financière née aux États-Unis d’abord, puis devenue économique dans le reste du monde, est d’une ampleur comparable à celle de 1929. Elle s’ajoute au désarroi créé par l’effondrement des idéologies du XXe siècle, nées d’utopies d’ambitieuses ou généreuses à l’origine, puis devenues par la suite criminelles. Il s’agit du fascisme et du nazisme, d’une part, du marxisme et du stalinisme, d’autre part.

C’est pourquoi, nous sommes condamnés à réinventer aujourd’hui les fondamentaux de la vie en société, à redécouvrir la vertu d’échanges vrais et confiants de produits et de services. Bref, à retrouver des valeurs européennes contemporaines, à recréer un nouvel humanisme, un nouvel altruisme. Et cela passe par l’emploi d’une langue aussi « parfaite » que possible, c’est à dire capable d’éviter toute incertitude, tout malentendu, toute animosité entre des interlocuteurs qui font partie des « Ceux qui… veulent agir ».

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Le Fugace et le Fulgurant – Mode d’emploi

Le-fugace-et-le-fulgurant

Mode d’emploi

 

« L’art de se faire une place au soleil… et la conserver »

Votre attention a sans doute été attirée par le sous-titre du site Le-fugace-et-le-fulgurant. Tout simplement parce que vous avez compris qu’il répond à un sentiment que vous ressentez plus ou moins clairement : le désir d’autonomie, la volonté de prendre en mains votre destin. Ce désir est commun à tous les être humains. Il consiste à savoir quand et comment quitter le temps de l’enfance pour entrer dans l’âge adulte.

Vous trouverez à partir du mot-clef « Éloge de la lecture » l’exemple d’écrivains qui ont réussi à s’imposer dans la vie en raison de la découverte de la lecture au cours de leur toute première enfance. (Cf. Lidia George ou Alberto Moravia).

 

Aptitude à l’action, culture et lucidité

Ces qualités sont utiles dans les deux cas qui peuvent se présenter.

  • Vous êtes jeune et vous avez décidé que le moment était venu de faire vos premiers pas dans la vie professionnelle.
  • Vous êtes moins jeune et vous voulez progresser dans l’emploi, dans les fonctions ou dans le métier dans lequel vous avez déjà acquis une certaine expérience.

Vous trouverez sur le site deux chapitres, deux « catégories».

  • Le « Développement individuel ». Cette première catégorie concerne les débutants.
  • Le « Développement d’entreprise », une autre catégorie qui traite du second cas et qui concerne les professionnels.

Ces deux catégories sont conçues pour répondre aux préoccupations de ceux qui veulent débuter et faire carrière dans la vie active, que ce soit comme employé ou comme créateur d’entreprise, que ce soit dans le secteur privé, dans les administrations, dans les collectivités territoriales ou dans le secteur associatif…

Dans ces deux catégories, vous trouverez des méthodes et des moyens utiles pour perfectionner votre aptitude à l’action.

 

Sur le site, vous trouverez une troisième « catégorie ». Elle est intitulée : « Culture littéraire ». Cette catégorie met en valeur l’importance de l’expression écrite. Parce que les générations d’humains qui se sont succédé sur cette Terre, depuis des milliers d’années, ont éprouvé le besoin de transmettre aux générations suivantes les acquis de leur expérience, la somme de leurs réflexions.

Au début, pour communiquer, il a fallu inventer le langage. Mais la transmission se faisait par l’oral avec une grande déperdition. Les Phéniciens, au troisième millénaire avant J-C, il y a donc cinq mille ans, ont inventé l’alphabet. Fort d’une vingtaine de signes seulement, ce prodigieux outil s’est révélé capable, non seulement de créer des milliers de mots, mais avec eux une infinité de phrases, d’idées, de concepts et aussi de les écrire. Les textes, d’abord gravés sur des pierres, puis sur des tablettes de bois ou de cire, sur du parchemin, du papier, puis associés à des dessins, puis à des images, ont formé le livre imprimé, dernière étape avant le « multimédia » que nous connaissons aujourd’hui. Nous accédons maintenant à cette mémoire infinie, directement de chez nous, sur l’écran de notre ordinateur. Nous pouvons, vous pouvez, plus facilement que jamais, acquérir désormais une vaste et riche culture.

 

Certes, on peut accumuler des livres dans une bibliothèque. On peut être branché en permanence sur une liaison Internet à haut débit. On peut consulter une infinité de sites. C’est une condition nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Il faut assimiler cette culture et pour qu’elle ne reste pas un simple potentiel, il faut respecter deux conditions.

D’abord, il faut avoir du discernement pour ne retenir, parmi tout ce qui se présente, que les éléments d’information vrais et importants: des faits, des chiffres, des textes et des images fixes ou mobiles. Il faut faire le tri pour ne conserver que les informations intéressantes, pertinentes. De ce fait, les chefs d’œuvres de la littérature sont éternels et universels. Ils ne donnent pas prise à la morsure du temps. Ils atteignent à une forme d’Art.

Ensuite, il faut faire l’effort pour comprendre le contenu de ces éléments, pour connaître le contexte dans lequel ils ont été pensés, puis de les assimiler et les mémoriser. Cette information de base se transforme ainsi en information élaborée, adaptée, utile à vos projets, à vos ambitions, à votre stratégie de développement personnel.

Pourquoi faire un tel effort ? Parce que, vous le savez, sur cette Terre, il n’existe pas de rendement supérieur à 100 %. Le mouvement perpétuel n’existe pas. Bref, pas de miracle ! Pour obtenir des résultats positifs, il faut investir, consacrer du temps d’attention. Il faut de l’énergie. Il faut être actif ! Ainsi, au service de votre développement personnel, vous ferez progressivement l’acquisition d’une irremplaçable qualité, porteuse de bon sens : une volonté de lucidité.

 

Regarde de tous tes yeux ! Regarde !

Sur le site Le-fugace-et-le-fulgurant, vous trouverez une quatrième « catégorie ». Elle s’intitule « Réflexion générale ». Elle regroupe des textes, des idées, des recommandations qui se placent « en facteur commun » des autres catégories. Le présent mode d’emploi figure dans cette quatrième catégorie.

À chaque fois que cela sera nécessaire, vous retrouverez le visuel ci-dessous. Il est porteur d’une prescription impérieuse : Regarde de tous tes yeux ! Regarde !

Regarde de tous tes yeux CSL

À l’aide de tous vos sens, constamment en éveil, pilotés par celui de la vision, vous enregistrerez, vous accumulerez quantité de faits pertinents, c’est à dire adaptés à la situation. Vous saurez les traduire en raisons d’agir.

En conclusion, ce mode d’emploi se place au service des trois autres catégories, dans le but de vous aider dans « l’Art de se faire une place au soleil… et la conserver ».

Il vous conduira à développer une qualité essentielle de l’esprit humain : la curiosité.

À bon entendeur, salut !

 

Bernard Labauge

 

Approche « Produits » / Approche « Services »

« Produits » ou « Services » ?

Savoir comment placer le curseur

entre deux approches

aux antipodes l’une de l’autre

 

Le XXIe siècle est arrivé ! De moins en moins de monde pour produire. Internationalisation des échanges. Dérégulation des marchés. Plus de chasses gardées. Manque de repères. Protection de l’environnement. Terrorisme international, guerres asymétriques… De multiples difficultés politiques, économiques et sociales expliquent la complexité de la modernité. Elle durcit la compétition avec les pays émergents. Pourtant, pour « survivre », il faut continuer à créer des richesses.

Les activités se « tertiarisent ». Moins d’emplois en production implique plus d’emplois dans les services, dans l’immatériel, dans l’intelligence, dans le savoir. D’abord, les services qui apportent de la valeur sont au service de ceux qui produisent. Ce sont les services aux entreprises. Car les vraies richesses restent les biens matériels. Les fabrications se fractionnent. Les réalisations « sur mesure » se multiplient.

Les méthodes modernes de commercialisation associent des services immatériels aux produits tangibles. Dans l’équation « Produit + services », le service représente les satisfactions perçues par l’usage du produit. La mise en avant de ces satisfactions fait la différence.

Il y a aussi beaucoup d’activités qui relèvent de la prestation de services dans laquelle la partie « matérielle » est exclusivement associée à la satisfaction du client, comme par exemple le transport, le tourisme, les spectacles… Il y a enfin le domaine des prestations de service pur où la partie matérielle est très réduite, sinon inexistante. Par exemple l’aide aux personnes âgées, le conseil en patrimoine, les services financiers… Ils sont utilisés aussi bien par les particuliers que par des professionnels.

De nouvelles méthodes, de nouveaux comportements, de nouvelles compétences, de nouveaux métiers apparaissent. Tous les processus sont perfectibles. Et tout particulièrement le processus de « mise en marché ». Avec la complexité du monde actuel, il n’y a plus de droit à l’erreur. Les armes appropriées à la compétition d’aujourd’hui, s’appellent Innovation et Qualité du Service.

 Savoir se situer entre l’approche « Produits » et l’approche « Service »” implique de passer de la science de la segmentation, méthode commerciale du siècle dernier, à la science, plus fine et plus subtile, des comportements. Cela impose de passer du savoir-faire au savoir-être. Tel est l’objectif des organisations créatrices.

Les entreprises et les hommes cultivés, lucides, aptes à l’action entendent jouer le meilleur de leur rôle dans la vive compétition de la modernité. Chacun se doit de stimuler l’activité générale pour créer de la valeur, établir une croissance durable, respectueuse de l’environnement.

Ceux qui y travaillent et ceux qui souhaitent les rejoindre doivent prendre conscience du fait qu’ils doivent se comporter en professionnels. Parce que trouver un emploi aujourd’hui consiste à « séduire » un « client », un responsable d’entreprise qui trouvera qu’il est de son intérêt de payer pour louer les services de celles ou de ceux qui se présentent pour les lui proposer.

Proposer ses services revient à savoir comment placer le curseur au bon endroit entre deux pôles aux antipodes l’un de l’autre, l’approche « produits tangibles » et l’approche « services immatériels ». Notre ambition est d’aider ceux qui veulent agir dans ce sens.

 Découvrez l’espace riche,

personnalisé et différenciateur des services

À l’aide du schéma ci-dessus, définissez votre stratégie de développement en fonction des approches “Produit” ou “Service”. Apprenez les nouvelles règles et jouez très dur. Le marketing des services est encore peu défriché.

Ajoutez de la différenciation par l’innovation et la créativité. Concrétisez les besoins sous-jacents. Vous stimulerez les motivations de ceux qui… veulent agir. Apprenez à détecter les faits commerciaux les plus fugaces. Vous les exploiterez de façon fulgurante. Vous réussirez.

Approche classique “Produits”

 Le processus est caractérisé par la présence de cloisons étanches entre les étapes de la fabrication, de la commercialisation et de l’utilisation du produit, sa destruction par l’utilisateur final. Le plus souvent, l’utilisateur final d’un produit ignore où et par qui il a été fabriqué.

 Le Produit

Tangible, standard, mis sur catalogue, un produit se fabrique à l’avance. Disponible, il est prêt à être transféré au service commercial qui le remet ensuite à l’acheteur, contre argent. Les produits standard sont fabriqués et mis en stock en vue de satisfaire les besoins de marchés aussi étendus et aussi homogènes que possible.

Qualité

Elle est fixée, normalisée, vérifiée comme telle par le Service Qualité de l’usine, suivant le cahier des charges du produit élaboré par le Bureau d’Études et les Méthodes de fabrication.

 Marché

Il s’évalue de façon quantitative et qualitative par des études de marché et des études de motivation, sur un échantillon représentatif de la population visée sur un marché, à la fois vaste et homogène.

 Clients

Ils peuvent seulement décider d’acheter ou de ne pas acheter. Le rapport de forces est déséquilibré en faveur du producteur. Le processus de commercialisation s’appuie sur la loi des grands nombres.

 Prix

Le produit peut être observé, touché, essayé avant l’achat. Pouvant comparer les caractéristiques, les performances du produit avec le prix, le client contribue à accentuer la tendance à la baisse.

 Concurrence

Elle est féroce, notamment avec des produits “moi aussi”. Mais la présence des concurrents est utile, car c’est la preuve qu’un marché existe. La concurrence facilite aussi le positionnement respectif des marques en présence. Mais, à faible dose, c’est un excitant. A forte dose, c’est un poison !

 Distribution

Vente directe ou circuit long. Le fabricant peut couvrir des secteurs très étendus en créant et en animant des réseaux de distributeurs, d’agents à l’export, des chaînes de franchise…

 Communication

Vente : par des vendeurs agressifs, qui tiennent un discours très unilatéral.

Publicité/promotion : soutien par les media de publicité ou de marketing direct. Puissants, ces media offrent un coût au contact-utile qui se situe parmi les plus bas. Mais ces media sont peu sélectifs et peu interactifs.

 Approche novatrice “Services”

 Au début du processus de commercialisation, rien de concret n’existe. Seule une potentialité, créée par la réunion du savoir-faire de l’un et de la volonté d’agir de l’autre, donne l’impulsion qui ouvre des opportunités.

 Le Service

L’équivalent du produit est une prestation de service. Elle ne se matérialisera qu’après la passation de commande. Pour concrétiser une prestation, il faut être deux, se trouver au même moment, au même endroit. Il faut la participation active de l’acheteur. Ceux qui veulent agir doivent prendre l’initiative et s’impliquer en profondeur.

 Qualité

La notion est floue. Car les critères d’évaluation du niveau de qualité dépendent essentiellement des normes de l’acheteur. De plus, la qualité ne s’apprécie qu’après la prestation Et tous ceux qui participent aux circuits de décision et d’utilisation contribuent au niveau de qualité.

 Marché

Les études de marchés classiques conduisent au risque surévaluation du marché potentiel. Les clients sont ceux chez qui on a su révéler des besoins latents et qui sont “coincés”. Être à l’écoute qualitative, être sensible aux signaux faibles, le Fugace, anticiper, aller de l’avant avec le Fulgurant. Être entreprenant est rassurant. Étudier un marché, c’est déjà l’ouvrir !

 Clients

La relation Client/Fournisseur est équilibrée. C’est une négociation de puissance à puissance. Cette communauté d’intérêts se traduit par des relations de type gestion par projets, ingénierie concourante, stratégie gagnant/gagnant…

 Prix

Mieux vaut ne pas se tromper dans ses offres. Si la fourchette de prix est bien placée, ne pas brader. Le niveau élevé du prix et la fermeté commerciale sont perçues comme autant de garanties de la qualité et de la fiabilité du service.

 Concurrence

Elle est multiforme. Les clients peuvent décider de ne pas décider, penser pouvoir faire “autrement”, faire travailler un confrère. Trop de concurrence crée la confusion chez les clients, accroît le risque perçu et donc l’attentisme. Mais cela aide au positionnement et conduit à la fidélité avec des clients devenus partenaires.

 Distribution

Il est périlleux d’étendre inconsidérément le champ d’action dans les services. Il faut rester proche du client, géographiquement et intellectuellement.

 Communication

Vente : être incisif et “vivre” les situations. Cultiver le parc des clients actuels, puis chercher des clients nouveaux. Pratiquer la vente “en mineur”. Ne pas être perçu comme un intermédiaire, mais comme un “ingénieur d’affaires”. Le problème est de gérer le facteur temps. Pour aller vite, prospecter d’après le portrait-robot des clients satisfaits. Attention : tous ceux qui sont en contact avec les clients, font du commercial, souvent sans le savoir !

Publicité/promotion : une communication pluri-media est utile avec les outils les plus sélectifs, les plus interactifs, les plus évocateurs de satisfactions. Un plan de communication complet, dosé et orchestré, économise le temps et l’énergie des hommes de terrain, prépare, accélère et prolonge leur action auprès des clients.

Tasse de café

 Ceci n'est pas

Pardon pour cette paraphrase du « Ceci n’est pas une pipe », titre du célèbre tableau peint par René Magritte. Cet artiste voulait nous faire comprendre que, sur son tableau, il ne s’agit pas d’une vraie pipe, puisque l’on  ne voit que la représentation d’une pipe.

Une tasse de café n’est pas seulement un objet matériel. Elle apporte quantité de satisfactions : le plaisir d’offrir, la qualité d’un accueil, la saveur du breuvage, un instant de détente, une action de commerce équitable, une forme de convivialité…

Reconnaissez qu’avec l’évocation de ces satisfactions immatérielles, s’ouvre un  champ d’action et de communication, plus riche, plus mobilisateur et infiniment plus différenciateur.

Aux antipodes de l’approche « Services« , l’approche « Produits« , qui se limite à la description des caractéristiques d’un objet matériel, est une impasse.

Concrétiser les besoins sous-jacents, anticiper les attentes du marché, intervenir avec la Qualité requise et un Service attentif, c’est bien ce que les clients exigent désormais.

L’approche « Services » ouvre un espace, immense et personnalisé. Elle nous fait découvrir des opportunités d’activités novatrices, précieuses pour la performance des entreprises, pour le développement de la croissance et donc de l’emploi, dans un pays avancé comme la France.

Elle nous motive pour proposer nos services et elle favorise notre insertion dans la vie active, car :

« Marketing bien ordonné commence par soi-même ! »

Avant-propos

Vous venez de cliquer sur le site « Le-Fugace-et-le-Fulgurant ».

Vous avez vu aussi son sous-titre, « l’Art de se faire une place au soleil… et la conserver ».

Vous trouverez, ci-dessous, une explication qui justifie le choix de ces mots.

 Se faire une place est un art

Vous êtes bien d’accord, nous avons atterri sur cette terre à la suite d’un mystère biologique encore mal expliqué. Nous sommes pourtant dotés d’un cerveau puissant qui nous permet de réfléchir sur nous-mêmes.

Nous savons que notre temps sur cette planète est limité. Au contraire des animaux, nos frères du monde du vivant, qui ignorent qu’ils vont mourir. Nous devons nous attacher tout simplement à « survivre », jusqu’au terme de notre parcours ici-bas.

Nous devons, par conséquent, lutter pour conserver le plus longtemps possible la position enviable que nous parvenons à nous ménager.

Pourquoi est-ce un « Art » ? Parce que notre vie se déroule dans un environnement compliqué fait d’une « nature » à la fois accueillante et hostile et dans la coopération avec « les autres », une humanité qui peut se montrer, elle aussi, tour à tour, accueillante et hostile.

Mieux vaut donc disposer d’un bon esprit d’analyse et de synthèse au service d’une réelle capacité de création avec l’ambition, comme tout artiste, de réaliser une œuvre, une carrière, de réussir sa vie, c’est-à-dire de réussir, tout simplement.

Auguste Detœuf, dans les « Propos de O.-L. Barenton, confiseur »[i] nous prévient :Detoeuf - Couverture 1 RDetoeuf - Couverture 2 R

« On n’enseigne pas à réussir. Réussir est un art ; comme tous les arts, il suppose des dons. On apprend une technique ; on n’apprend pas à être un grand peintre ».

Il existe pourtant diverses manières de réussir, précise t-il. Et, de façon plaisante, après avoir énuméré plusieurs façons contradictoires de réussir, il nous révèle une vérité.

« Travailler, travailler, travailler et, quand on a fait une œuvre, s’apercevoir en même temps que les autres qu’on a réussi ».

Et sa recommandation la plus géniale s’exprime ainsi : « Avoir réussi ».

Ce qui signifie aussi qu’il n’y a pas de « truc » magique à trouver, pas de recette miracle à acquérir, pas de réussite possible sans fatigue, sans volonté, sans courage, sans prise de risques.

Autrement dit, réussissez d’abord, en travaillant le plus possible et, ensuite seulement, vous pourrez expliquer comment vous avez fait, avec quelles méthodes, quels dons, quels goûts, quelles qualités personnelles.

 Pourquoi « Le Fugace et le Fulgurant »

En ce début du XXIe siècle, nous sommes à mille lieues de la société industrielle du XIXe siècle. Celle-ci s’est prolongée jusque dans les années 1980 du fait de la régression de la civilisation occidentale intervenue au cours du siècle dernier.

Autrement dit, pour agir avec efficacité, nous devons être assez cultivés, attentifs et sensibles pour détecter les indications les plus « fugaces » (les signaux faibles) et être suffisamment avertis de la modernité pour savoir comment fonctionner de façon « fulgurante » (le global et le local, l’horizontal et le hiérarchique), tout en parlant le langage des préoccupations des « clients ».

Nous devons construire notre avenir, la Société de la connaissance, à l’aide des méthodes et des outils de la numérisation, en sachant tirer les leçons d’un passé tragique, foisonnant, complexe. Si nous regardons par dessus notre épaule, nous sommes frappés par la progression de type géométrique, uniformément accélérée, de l’aventure humaine.

Dès l’Antiquité, la plupart des règles de la vie en société ont été énoncées par les intellectuels, notamment ceux de la civilisation gréco-romaine, à partir des échanges commerciaux, de l’argent, de l’enseignement, de l’éducation des enfants. Cette trilogie, le politique, l’économique et le social, inventée par les premiers hommes sur cette terre, est toujours en vigueur aujourd’hui.

Puis les philosophes et les savants du XVIIIe siècle, le siècle des Lumières, avaient beaucoup espéré dans les vertus de la Raison. Celle-ci devait apporter le Progrès. Certes, les premiers balbutiements de la science (la machine à vapeur et ses applications), ont paru aller dans un sens favorable. L’Europe occidentale a pu ainsi « décoller » avec la croissance, le développement et une prospérité croissante, vertus nées de la Société industrielle.

Mais la science et la technique ont mis au point des armes de destruction massive. Elles ont été utilisées au cours des guerres mondiales du XXe siècle. Outre de considérables pertes humaines et matérielles, elles ont suscité des idéologies totalitaires et criminelles qui ne sont pas encore totalement éradiquées.

Autre novation, les échanges ne sont plus seulement composés de produits matériels. On avait appris, au siècle dernier, à les produire en masse et, parallèlement, à les vendre en masse. Aujourd’hui, les produits s’achètent avec des services, les perceptions immatérielles qui leur sont attachés De plus, beaucoup d’activités relèvent de prestations de service pur. C’est une complication supplémentaire, car il faut savoir que la production et la prestation de services immatériels ne ressemble en rien à la production et à la commercialisation de produits tangibles.

 « Le Fugace et le Fulgurant »

Ce site est destiné d’abord aux jeunes générations, à CEUX QUI… veulent s’insérer dans la vie active en trouvant un premier emploi. Et aussi à ceux qui sont attentifs à leur carrière et qui veulent trouver un meilleur emploi.

Ils verront ici comment perfectionner leur « développement personnel ».

Le site est également destiné à CEUX QUI… sont engagés dans la vie professionnelle et qui veulent que l’entreprise à laquelle ils appartiennent ou qu’ils ont créée soit capable de survivre.

Ils trouveront comment perfectionner le « développement d’entreprise ».

 « L’Art de se faire une place au soleil… et la conserver »

Cela représente un parcours d’obstacles de longue haleine. À l’image des chevaux qui participent à une course d’obstacles, CEUX QUI… ont les meilleures chances de figurer à l’arrivée dans le peloton de tête sont ceux qui ne sont pas tombés en cours de route.

L’ambition du site « Le Fugace et le Fulgurant » n’est pas de proposer des recettes miracles, mais tout simplement de montrer comment s’organiser en trois niveaux. Formuler d’abord une vision à long terme, une ambition, puis réfléchir aux moyens disponibles et à la méthode de leur mise en œuvre et enfin se lancer dans l’action concrète.

 « Penser en homme d’action, agir en homme de pensée »

La formule confirme à quel point il est nécessaire, dans la complexité d’aujourd’hui, d’avoir une vision simple et claire de sa stratégie, tout en sachant l’appliquer sur le terrain avec doigté et subtilité. Un tel comportement est la conséquence d’un bon niveau de culture, facteur d’une qualité essentielle, la lucidité, le discernement.

Afin de perfectionner votre personnalité dans ce sens, vous trouverez sur le site un « Éloge de la lecture » dans la rubrique « culture« .

Ce site est destiné à CEUX QUI… veulent agir sans commettre trop d’énormités, de bourdes ou d’impairs qui peuvent être éliminatoires, surtout si ces fautes se produisent aux débuts de la course.

Voilà qui est une forme d’art.

Car vous le savez maintenant, pour réussir, il faut déjà avoir réussi.

 À bon entendeur, salut !

 Bernard Labauge

 

  


[i] Auguste Detœuf, un polytechnicien qui savait écrire, président de l’Alsthom en 1938, a rédigé un recueil d’aphorismes très pertinent, voire impertinent sur le comportement des hommes dans la vie des affaires. Publié pour la première fois en 1945, ce livre remarquable et toujours d’actualité a été depuis constamment réédité.

Alberto Moravia, ou comment la lecture peut changer votre vie…

Naissance d’une vocation

« Mes parents, mes frères et mes sœurs étaient loin, plongés dans un univers normal que l’infirmité m’interdisait. Je lisais…« . Dans un livre d’entretiens publié en 1970, Alberto Moravia (de son vrai nom Alberto Pincherle) explique comment sa vocation d’écrivain lui est venue par la lecture, malgré ou à cause d’une enfance fracassée. Un exemple de « résilience« , de résistance à l’adversité. Un comportement popularisé par le neurologue Boris Cyrulnik. Tout au long de sa vie, Alberto Moravia cultivera son goût pour l’écriture. D’abord, dès l’enfance, il écrira de la poésie, des nouvelles, puis dans sa vie d’adulte, des romans, des pièces de théâtre, des essais, des articles de revues, des critiques de films… Romancier, auteur dramatique, scénariste, journaliste, Alberto Moravia, par son talent d’écriture, gagnera la célébrité internationale. Pour ses lecteurs d’aujourd’hui, Moravia reste un irremplaçable témoin oculaire d’un XXe siècle dont nous subissons encore aujourd’hui les conséquences de son histoire tragique.

Entretien avec Moravia I - R

Alberto était né à Rome dans une famille de la petite bourgeoisie italienne. Son père, architecte d’un certain renom, était aussi peintre amateur. Cette activité artistique de création et de réalisation, très accaparant, comme le savent tous ceux qui exercent une profession libérale. C’était un personnage taciturne, distant, secret. Le jeune Alberto avait dû percevoir douloureuse-ment le manque d’autorité de ses parents en raison de son affectivité et d’une sensibilité sans doute plus développée chez lui que chez ses trois frères et sœurs.Entretien avec Moravia IV - R

Dès son plus jeune âge, par trop livré à lui-même, le jeune Alberto raconte que, du fait de cette disponibilité, le démon de la lecture s’était emparé de lui. Comme ses parents voulaient le destiner à la carrière diplomatique, il avait eu très tôt des gouvernantes qui lui avaient appris le français qu’il avait su parler avant l’italien, puis aussi l’allemand, l’anglais… Cependant, n’ayant pratiquement jamais fréquenté l’école, Alberto Moravia avait pris conscience de ce que représente l’enfance : une période marquée par l’incapacité de choisir, l’impuissance d’agir, l’aliénation, puisque ce sont les autres, les adultes, qui décident de choses importantes pour la vie future de l’enfant.

C’est toute la difficulté du passage de l’enfance à l’âge adulte, gouffre que certains n’arrivent jamais à franchir. L’enfant doit subir un choc, supporter une rupture, surmonter des contraintes afin de découvrir et d’assimiler « la règle du jeu » (1) de la vie. C’est pourquoi, l’imagination stimulée par sa boulimie de lecture, le jeune Alberto Moravia avait fait le choix de la littérature. Il exploitera le seul gisement mental qui lui était offert : la réalité de l’enfance.

 Première contrainte, la maladie

À neuf ans, Alberto Moravia avait commencé à souffrir des premiers symptômes d’une maladie grave, la tuberculose osseuse. Elle allait le contraindre à vivre alité pendant près d’une dizaine d’années, de 1916 à 1925. La solitude, la maladie, son absence de scolarité, avaient été autant de circonstances qui n’ont fait que renforcer sa timidité maladive. Cet adolescent plongé dans l’irréalité se sentira incapable de développer des rapports normaux avec « les autres« . Moravia explique que cette maladie avait été, sinon occasionnée, du moins favorisée par une sorte d’affection psychosomatique, une crise existentielle, provoquée par un certain dégoût de vivre.

En raison de sa sensibilité exacerbée, les parents d’Alberto lui avaient interdit de lire des livres d’aventures. Il s’était rabattu sur des ouvrages psychologiques et des pièces de théâtre. À 16 ans, à la suite d’une rechute de sa maladie, ses parents décident de l’envoyer, plâtré, dans un sanatorium de montagne à Cortina d’Ampezzo. Il y restera immobilisé pendant près de deux ans, de 1923 à 1925. Abonné à une bibliothèque tournante de Florence, il recevait chaque semaine un gros colis de livres. Il les dévorait au rythme d’un par jour. C’est ainsi qu’il a fait la découverte de Shakespeare, de Molière et de Marivaux, dramaturges contemporains de l’italien Goldoni, auteur de près de 200 comédies et tragédies et aussi de Rimbaud, Manzoni, Dostoïevski, Gogol, Stendhal, Alexandre Dumas, Proust…Les indifférents - Couverture R

Ces circonstances ont valu au jeune Alberto de parcourir, inconsciemment, les étapes de la création littéraire, la contemplation, le rêve, l’imaginaire, la volonté créatrice. Le goût de raconter des histoires le fera s’exprimer d’abord verbalement, puis ensuite en mettant noir sur blanc, sans ponctuation, un texte qu’il relisait à haute voix, sensible à la succession des phrases comme une musique dont il réglait le rythme à l’oreille. Sa fréquentation des grands auteurs lui avait permis de trouver ses moyens d’expression. Par exemple, chez Manzoni, le goût de la narration, chez Rimbaud, le sens de la révolte, chez Goldoni, la technique théâtrale du dialogue.

En octobre 1925, juste avant l’anniversaire de ses dix huit ans, Alberto Moravia sort du sanatorium avec des béquilles et un plâtre orthopédique. Il refuse de suivre les conseils de sa mère qui souhaitait vivement le voir reprendre des études. Il prend le risque de se placer en marge de la vie normale. Il s’installe près de Cortina d’Ampezzo et commence à écrire un roman. Il le terminera deux ans plus tard. Le roman ne sera publié qu’en 1929 à compte d’auteur sous le titre « Les Indifférents« . Car tous les éditeurs sollicités avaient refusé de publier cet inconnu dont ils qualifiaient le manuscrit de « brouillard de paroles« . En désespoir de cause, Alberto avait demandé et obtenu de son père qu’il veuille bien prendre en charge les frais d’édition de son premier roman.

 

Les parcours analogues de Proust, Malraux, Sagan

« Qu’est-ce qu’un grand écrivain sinon celui qui trouve un sujet« . Jean-François Revel nous l’affirme dans son essai « SuSur Proust - Couverture Rr Proust » publié en 1960. Le sujet deProust, c’est l’apparition des aspects de l’homme qu’il décrit. Pour un auteur comme pour Avec Camus - Couverture Run éditeur, il faut avoir « du flair« , un talent qui permet de trouver son sujet, de  » saisir « , c’est-à-dire à la fois de comprendre et de s’emparer de ce qui flotte dans « l’air du temps« . Ensuite, on peut adhérer ou résister aux concepts, aux idées, voire aux idéologies de son temps, mais à condition de posséder les moyens d’exprimer sa pensée et de la diffuser auprès du plus grand nombre. Jean Daniel montre cela dans « Avec Camus – Comment résister à l’air du temps« , un livre publié en 2006. On y trouve une réflexion superbe  : « La violence est à la fois inévitable et injustifiable et la fin ne justifie jamais les moyens. Avec ces deux principes, il faut s’inventer à chaque moment un comportement« .

On ne peut pas, non plus, ne pas comparer le parcours de Marcel Proust (1871-1922), ce géant de la littérature du XXe siècle, à celui de Moravia. Proust a souffert, dès son enfance, de crises d’asthme répétées et sera obligé de vivre pratiquement cloîtré. Cette contrainte le conduira à se consacrer à l’écriture. En 1913, il devra publier, à compte d’auteur lui aussi, le premier volume de « À la recherche du temps perdu« , son manuscrit ayant été sèchement écarté par le jeune André Gide, lecteur chez Gallimard. Il fut aussi renvoyé à son auteur par l’éditeur Ollendorf. Dans la lettre d’accompagnement, un jugement définitif est resté célèbre : « Je suis peut-être bouché à l’émeri, mais je ne puis comprendre qu’un monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil » ! C’est ainsi que le directeur de la maison d’édition justifiait son refus de publier la première partie de « Du côté de chez Swann« .

En revanche, en 1954, le « flair » de l’éditeur René Julliard lui permit d’être le premier à prendre contact avec Françoise Sagan(1935-2004) pour faire signer par ses parents un premier contrat d’édition. À cette époque la majorité était fixée à vingt et un ans. La jeune fille avait envoyé, à dix huit ans, sans trop y croire, le manuscrit de « Bonjour tristesse » à plusieurs éditeurs. De son vrai nom Françoise Quoirez, Sagan (pseudonyme choisi parmi les personnages aristocratiques de Proust) publiera de nombreux romans, pièces de théâtre et scénarios. « Bonjour tristesse » obtint un succès énorme, car il annonçait, dix ans à l’avance, le rejet par la jeunesse d’une société archaïque (Cf. Henri Mendras « La seconde révolution française 1965-1984 » ) et le fantasme d’une nouvelle liberté des moeurs.  Ce premier roman consacrera une romancière qui figure désormais parmi les plus célèbres auteurs du XXesiècle.

Malraux - Couverture RAutre parallèle frappant : André Malraux (1901-1976). Ses parents s’étant séparés en 1905, ce fut un grand choc dans la vie de l’enfant. Victime du SGT (Syndrome Gilles dela Tourette), il ne put fréquenter l’école primaire, car il était dévoré de tics. À quatorze ans, il entrera à l’école de la rue Turbigo, période durant laquelle il fréquente les bouquinistes, les milieux artistiques de Paris, les salles de cinéma, de théâtre, d’expositions, de concerts. Il abandonne ses études secondaires et n’obtiendra jamais son baccalauréat. Il se passionnera pour la littérature et publiera ses premiers textes dès 1920.

Il épouse Clara Goldschmidt, riche héritière dont il dilapide rapidement la fortune. Il part en Indochine pour y voler des bas-reliefs et les revendre. Arrêté, il est assigné à résidence à Saigon et, en attente de son procès, André Malraux fonde un journal anticolonialiste. Il tirera de cette expérience la matière de ses premiers romans. D’abord « Les Conquérants » en 1928, dont le succès le fera reconnaitre comme écrivain, puis « La Voie royale » (Prix Interallié) et « La Condition humaine » (Prix Goncourt 1933). Il continuera à publier et se forgera une carrière d’homme d’action (Guerre d’Espagne et Résistance française), puis d’homme politique, notamment comme ministre de la culture du général de Gaulle.

À l’occasion de la publication en 1955 dans La Pléiade de ses trois romans, les Conquérants, la Condition humaine et l’Espoir, André Malraux, dans la postface qu’il place à la suite des Conquérants, reprend un discours fait à ses compagnons gaullistes en mars 1948. Il écrit : « Plus de vingt ans ont passé depuis la publication de ce livre d’adolescent… Mais ce livre n’appartient que bien superficiellement à l’Histoire. S’il a surnagé, ce n’est pas pour avoir peint tels épisodes de la révolution chinoise, c’est pour avoir montré un type de héros en qui s’unissent l’aptitude à l’action, la culture et la lucidité« . Voilà ce qui confirme de façon éclatante que la lecture et donc la culture, constituent un parcours obligé pour conférer à « CEUX QUI » veulent agir, à ceux qui veulent écrire, la lucidité et la capacité de jugement requises par la complexité des situations.

Une autre maladie va frapper Moravia : le fascisme

En 1921, le Parti National Fasciste (PNF) de Mussolini présentait au peuple italien, un programme politLe Fascisme en action - Couverture Rique nationaliste, autoritaire, antisocialiste et antisyndical. Il aura l’appui de la bourgeoisie et d’une grande partie des classes moyennes industrielles du nord de l’Italie et agraires du sud. Le succès du premier roman d’Alberto Moravia en 1929, rend celui-ci immédiatement suspect d’être un ennemi du fascisme. « Les Indifférents » montraient en effet des personnages en total décalage avec l’idéaltype du mouvement fasciste. Celui-ci doit être composé de personnages sains, exempts d’états d’âme, obéissants à une idéologie de masse destinée à rassembler toute une population confiante dans un seul chef, « le Duce« .

Certes, le régimSi c'est un homme Couverture Re fasciste italien, n’était pas aussi cruel que le nazisme. Sauf dans les derniers moments de son existence, à la fin des années 1930 et surtout pendant la République de Salo, il ne comportait pas de dimension raciste et antisémite. Ce ne sera le cas qu’à la fin de 1943, à l’exemple de l’arrestation en tant que résistant et juif  de l’ingénieur chimiste Primo Levi qui sera déporté à Auschwitz en février 1944. Il pourra en revenir et publiera « Si c’est un homme« , témoignage poignant de son expérience des camps de concentration.

Lorsqu’il a commencé à publier dans les années 1930, Alberto Moravia savait que la littérature était, à cette époque, le moyen d’expression considéré comme le plus puissant. Le personnage de l’écrivain était reconnu comme un témoin crédible, un maître à penser pour l’opinion publique. C’est pourquoi, progressivement, le régime fasciste empêchera Alberto Moravia de publier ses écrits, non seulement ses romans, mais aussi ses articles dans la presse, ses critiques de cinéma. Le régime fasciste italien deviendra pour Alberto Moravia de plus en plus gênant, du fait de l’absence de liberté et par ses décisions arbitraires. Son second roman, « Les ambitions déçues » ne pourra pas être diffusé et Moravia ne pourra plus rien publier entre 1935 etLa ciociara - Couverture R 1944.

 La permanence du thème de la sexualité dans ses romans vaudra à l’écrivain Moravia, non seulement l’hostilité du régime fasciste italien, mais aussi, en 1952, sa mise à l’Index par le Vatican. Après s’être exilé en France, en Angleterre et aux USA, il revient en Italie en 1943, à la chute de Mussolini. Comme celui-ci, destitué et emprisonné par le roi Victor Emmanuel III, est délivré par un commando de parachutistes allemands, il crée la République fasciste de Salo. Craignant alors d’être arrêté, Moravia va se cacher dans une ferme proche de Cassino, entre Rome et Naples. Durant les combats de la libération de l’Italie par les forces alliées pendant l’hiver 1943 et le printemps 1944, il y vivra les horreurs de la guerre. Il sera témoin, à 100 km de Rome, de la misère, de la vie autarcique de paysans analphabètes, dépourvus de tout sens social. Cette expérience lui fournira le matériau du drame vécu par une femme accompagnée de sa fille de treize ans qui se veulent se rendre de La Ciociara à Rome. Le roman « La Ciociara » sera publié en 1957, inspiré par les exactions des troupes alliées, notamment celles des tabors marocains, lors de la bataille de Cassino et sera transposé au cinéma avec Sophia Loren dans le rôle principal.

 

Écrire la vie, écrire sa vie

Le roman « Les Indifférents » fut un succès considérable. Vendu à 5 000 exemplaires, à une époque où les italiens lisaient peu, l’écrivain Alberto Moravia était lancé. Ce roman existentialiste avant la lettre, matérialisait un courant philosophique et littéraire né au XIXe siècle avec les thèses du philosophe danois Søren Kierkegaard (1813-1855) et les romans de Dostoïevski. Ce mouvement sera cultivé par Franz Kafka et développé dans les années 1950 par Jean-Paul Sartre et Albert Camus, puis  plus tard, par Milan Kundera.

Dans ce premier roman Moravia mettait en scène cinq personnages : une mère divorcée, son amant, sa meilleure amie, son fils et sa fille. Ces représentants de la moyenne bourgeoisie évoluent dans un univers feutré, impersonnel, superficiel, le monde des « téléphones blancs« , comme on le dira plus tard, lorsque le cinéma mettra à l’écran des situations analogues. La plupart des dialogues s’échangent dans la villa cossue d’un quartier élégant dans une grande ville italienne. Les personnages, individualistes, veules, laids moralement, vivent une sorte d’huis clos existentiel, prémonitoire de la réplique qui termine la pièce de théâtre de Jean-Paul Sartre en 1944,  la célèbre chute de Huis clos : « l’Enfer, c’est les autres« .

« Les Indifférents » de Moravia ont des préoccupations centrées essentiellement sur l’argent et sur le sexe. On comprend qu’Alberto Moravia, resté frustré de contacts normaux avec les autres pendant les années de sa maladie, se soit défoulé en laissant libre cours à sa puissante imagination, forte aussi d’une ironie féroce vis à vis de la bourgeoisie conservatrice italienne. D’autre part, on peut se demander pour quelles raisons ce premier roman d’Alberto Moravia, somme toute assez caricatural, ait eu tant de succès lors de sa publication en 1929. L’air du temps voulait sans doute que les lecteurs italiens trouvent dans ce roman le moyen d’échapper à l’ambiance étouffante du régime fasciste de Benito Mussolini. Celui-ci, socialiste à l’origine, créateur du Parti National Fasciste, devenu dictateur en 1924, se rapprochera de l’Allemagne nazie en 1935. Au cours des années 1930, beaucoup d’italiens voulaient oublier dans littérature les humiliations de la guerre 1914-1918 (défaite de Caporetto de 1917), les revendications territoriales non ou mal réglées par le Traité de Versailles (Trieste, Fiume), la menace du bolchevisme (communisme) sur le plan économique et social.

A propos de la présence permanente de la sexualité dans ses romans, Alberto Moravia explique qu’il a commencé à écrire, entre 1910 et 1920, à une période qui a vu l’écroulement des valeurs européennes nées de l’humanisme du siècle des Lumières. La sexualité lui apparaissait alors comme une des seules valeurs dont on pouvait partir, car non périmée. Ce niveau zéro des rapports humains ne pouvait pas être remis en cause. De fait, les années 1930 resteront marquées par l’apparition au grand jour des mœurs homosexuelles masculines et féminines, ce qui sera un des thèmes principaux de Marcel Proust dans « À la recherche du temps perdu » (Sodome et Gomorrhe).

Dérive fasciste - Couverture RLa Tentation totalitaire - Couverture ROn comprend pourquoi, par réaction contre cet esprit de décadence et aussi par peur du bolchevisme, les milieux conservateurs d’Europe occidentale se soient réfugiés dans les idéologies d’extrême droite, dans une « Tentation totalitaire« , selon le titre d’un livre de Jean-François Revel, voire dans « La dérive fasciste« , ouvrage de l’historien suisse Philippe Burrin. Ce dernier décrit le parcours d’hommes de gauche français, le communiste Jacques Doriot, le socialiste Marcel Déat et le radical Gaston Bergery, qui, à l’image du socialiste Benito Mussolini, vont rejoindre en 1940 le régime de Vichy et  collaborer avec l’occupant nazi.

Tout au long de sa vie, Moravia publiera une trentaine de romans dans lesquels il traitera toujours à peu près du même « sujet« , en plaçant dans différents milieux les thèmes qui lui étaient familiers et bien dans l’air de son temps : le problème de l’action, de la difficulté d’agir par rapport à une réalité souvent ignorée, secrète, interdite.

Moravia, ce grand témoin du XXe siècle, est en cela le digne héritier de Machiavel, un des plus remarquables penseurs italiens de la Renaissance. Dans son œuvre, Machiavel entendait montrer la réalité de la société, mettre au jour les hypocrisies de la comédie humaine et, sans illusions sur leurs vertus, décrire les hommes tels qu’ils sont et non pas tels qu’ils devraient être.

Ainsi, Moravia romancier pessimiste développe les thèmes de l’indifférence, de la peur, de l’ennui, de l’aliénation, de l’absurde, de la révolte, de la violence. Il aborde ainsi les problèmes de l’engagement, de la responsabilité, du courage, de la volonté, du sens que l’on souhaite donner à sa vie afin de se forger une personnalité et, le plus souvent, de l’échec de ces tentatives. Le roman est un espace dans lequel l’auteur se raconte, tente d’écrire sa vie. Il écrit pour découvrir ce qu’il doit écrire. Il écrit pour savoir qui il est et pourquoi il vit.

 Dostoïevski, l’influence majeure de Moravia

Dostoïevski, le plus grand des romanciers selL'Idiot - Couverture Ron André Gide,  est l’écrivain qui aura eu le plus d’influence sur Moravia. Dostoïevski aura vécu la première partie de sa vie sous le signe de la violence, de  l’injustice et des rapports de domination. Sa vie d’adulte se déroulera, elle aussi,  sous la malédiction d’une maladie, l’épilepsie. Mort à soixante ans, Dostoïevski (1821-1881) se destinait à être dramaturge. Pourtant, il n’a écrit aucune pièce de théâtre. En réalité, constamment endetté, le besoin d’argent le condamnait à écrire sans arrêt. De même que l’adolescent Moravia alité dans un sanatorium se racontait des histoires à voix haute, Dostoïevski dictait son texte en marchant de long en large. Pour toucher une audience importante de lecteurs, le moyen de l’époque était la publication en feuilleton. Afin d’apporter en temps voulu les feuillets manuscrits à l’éditeur, sa seconde épouse notait en sténo le texte des romans. Faits de dialogues plus que de descriptions, Dostoïevski les imaginait au fur et à mesure, sans suivre de plan général pour son œuvre. Avec environ une dizaine de personnages-types, Dostoïevski nous laissera une analyse en profondeur de la Russie et de ses contemporains : « Crime et châtiment » publié en 1866, « l’Idiot » en 1868, « les Possédés »en 1871 et « les Frères Karamazov » en 1880.

Le cinéma, art populaire à l’époque du muet, puis du parlant,  fonctionnait très souvent aussi par épisodes successifs. De la même façon, de nos jours, le grand public peut suivre  à la télévision des histoires sous la forme de séries. On se souvient que Jules Verne avait publié en feuilleton, lui aussi dans la seconde moitié du XIXe siècle, les premières éditions de ses « Voyages extraordinaires« . Pas grand-chose de nouveau sous le soleil !

 Moravia et le théâtre

Moravia éprouvait pour le théâtre la même passion que pour le roman. Le roman permet d’évoquer la réalité en montrant de nombreux détails avec une précision minutieuse et un fort pouvoir d’évocation. Il permet aussi d’exprimer la durée en jouant avec le facteur temps. Moravia concevait le théâtre comme un moyen d’expression complémentaire, spécifique, surtout dans sa pratique classique avec unité d’action, de temps et de lieu. Avec une certaine économie de moyens, le théâtre est plus symbolique, il permet mieux de faire passer des idées, des idéologies. Sinon, c’est autre chose et cela s’appelle le spectacle vivant. Au contraire de la pièce de théâtre, le roman n’est pas fait pour exprimer des théories. Marcel Proust le confirme dans « Le Temps retrouvé« . Avant d’entrer dans le salon où le narrateur est invité à la matinée Guermantes, les pavés mal équarris de la cour, le choc de la cuillère, la serviette empesée expriment « une réalité, non dans l’apparence du sujet mais dans la profondeur de tous les états successifs qui ont abouti à leur fixation, à leur expression. Ce qui fait que les théoriciens croient pouvoir se passer de la qualité du langage. D’où la grossière tentation pour l’écrivain d’écrire des œuvres intellectuelles. Grande indélicatesse. Une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix« .

Moravia a écrit des pièces de théâtre et ouvert des salles de spectacle en Italie pour les présenter. Mais il regrettait que le théâtre soit un moyen d’expression cher et qui ne permet guère de drainer un public nombreux. C’est pourquoi ses rapports avec le cinéma, moyen d’expression plus populaire et plus international, ont été beaucoup mieux réussis.

 Moravia et le cinéma

Moravia aura rédigé quelque 800 critiques de films et le cinéaste Pier Paolo Pasolini aura été son meilleur ami. Il faut reconnaître que les romans de Moravia se prêtent bien à leur transposition au cinéma, un média parfaitement adapté à la (re)création de la vie dans le temps. De plus, Moravia a été particulièrement bien servi par des metteurs de scène de talent et par de grands interprètes. Si on demandait à Alberto Moravia s’il attendait des réalisateurs de films une certaine fidélité à ses romans, il répondait qu’il attendait surtout de voir de bons films . On peut dire que sur ce plan, il n’a pas été trop mal  servi.

La marchande d’amour. Drame de Mario Soldati, d’après « La Provinciale » sorti en 1953. Un des meilleurs films italiens des années 1950. Il fera connaître deux grands acteurs Gina Lollobrigida et Franco Interlenghi.La belle romaine - Couverture R

La belle romaine. Mélodrame de Luigi Zampa, d’après « La Romana« , sorti en 1954. Le roman d’une femme victime de sa beauté. Ce sera un des grands rôles de Gina Lollobrigida entourée par Daniel Gélin, Raymond Pellegrin, Franco Fabrizi.

La Ciociara. Drame de Vittorio De Sica de 1960, d’après le roman éponyme de Moravia. Ce film montre la vie difficile du petit peuple italien, comme Moravia l’avait réellement vécue en 1943. Sophia Loren était entourée par Raf Vallone et Jean-Paul Belmondo. Sofia Loren obtint un prix d’interprétation à Cannes en 1961 et un Oscar à Hollywood en 1964, des récompenses qui la consacrèrent dans son statut de star.

Le mépris - Couverture RLe mépris. Drame de Jean-Luc Godard de 1963 avec Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Jack Palance, Fritz Lang, Georgia Moll, Jean-Luc Godard, chef d’œuvre des années 1960. D’après le roman de Moravia que Godard qualifiait de « roman de gare« , le film traite de l’un des thèmes favoris de l’écrivain, l’incommunicabilité entre les êtres. Un auteur de pièces de théâtre en panne d’inspiration accepte un travail alimentaire pour acheter un appartement qui plaît à sa femme. Celle-ci s’imagine que son mari, pour être assuré d’obtenir son contrat, la jette sciemment dans les bras du producteur américain qui veut réaliser une nouvelle version de l’Odyssée réalisée par Fritz Lang qui joue son propre rôle. Pour cette raison, elle se met à mépriser son mari.

Hier, aujourd’hui, demain. Film à sketches de Vittorio De Sica de 1964 avec Sophia Loren et Marcello Mastroiani, ayant mis à contribution six scénaristes, dont Moravia.

L’ennui. Drame de Damiano Damiani de 1964, d’après « La Noia » de Moravia. Avec Horst Buchholz, Catherine Spaak, Bette Davis et Isa Miranda. Peintre raté, Dino voudrait posséder à la fois son modèle et la réalité. Film moraliste sur le thème de l’amour impossible pour une réalité qui se dérobe sans cesse. Ce film a fait l’objet d’un « remake » en 1998.

Le conformiste - Couverture RLe conformiste. Drame de Bernardo Bertolucci de 1970, d’après le roman éponyme de Moravia, avec Jean-Louis Trintignant, Dominique Sanda, Stefania Sandrelli, Pierre Clémenti et Gastone Moschin. Un chef d’œuvre de Bernardo Bertolucci, excellemment servi par de très grands acteurs, qui illustrent à merveille le propos du roman de Moravia. Il nous montre de l’intérieur ce qu’est le fascisme et ce qu’est un fasciste : celui qui, complexé, ayant souffert de l’indifférence de ses parents appartenant à la haute bourgeoisie, qui a découvert chez lui l’empire de pulsions violentes, puis fait un mauvais mariage, n’a de cesse que de se prouver qu’il est normal, qu’il est conforme aux normes sociales du moment. C’est pourquoi il s’engage dans le mouvement fasciste, dans ses services secrets. Il obéit à ses chefs sans s’interroger sur la nature de la mission qui lui est confiée. Elle consiste à participer à l’élimination d’un opposant en exil à Paris qui n’est autre que son ancien professeur de philosophie à l’Université. Le conformiste ne s’indigne pas non plus des dérives qu’il peut observer parmi la nouvelle « nomenklatura » que constitue, faute de contre-pouvoirs et faute du sens des convenances, les dirigeants du mouvement fasciste. Conformisme = indifférence = complaisance.

 

L’ignorance, le futile et le clinquant

Au cours de ses voyages, pendant et après la crise de 1968 (2), Moravia avait vu la jeunesse des pays économiquement avancés se révolter contre la société de consommation et dénoncer les gouvernants incapables de résoudre les problèmes du monde, à cette époque la guerre froide et la menace nucléaire. Moravia reconnaissait aussi que la consommation pour la consommation n’apporte pas le progrès. A propos de la République Populaire de Chine, Moravia avait très bien compris les raisons du déclenchement de la révolution culturelle, voulue par Mao Tse Toung, dans le but conserver et d’affirmer son pouvoir.

Certes, depuis cette date, le monde a changé. Aujourd’hui en ce début de XXIe siècle, d’autres problèmes se posent. Mais face à ces nouveaux problèmes, ce qui prévaut, en France tout particulièrement, c’est plutôt l’individualisme, le repli sur soi, l’indifférence, l’abstention, voire le mépris de la vie politique. Cette attitude, notamment chez les jeunes générations, provient de l’indifférence pour la lecture, résulte du manque de goût pour la littérature. Cette inculture conduit à l’ignorance du passé, au rejet des valeurs fondamentales, à l’ignorance des invariants de la vie en société, au goût trop exclusif pour le divertissement, le futile, le clinquant, le superficiel. Il est vrai qu’en matière de média, abondance de biens peut nuire.

 Pour comprendre les média - Couverture R« Le message, c’est le média« 

Le psychosociologue canadien Marshall Mc Luhan a publié cette formule en 1960 dans un livre prémonitoire intitulé « Pour comprendre les média« . Prémonitoire, car au moment des premiers développements du réseau Internet, il avait compris qu’allait se former un « village mondial« . Dans son livre, il montrait que l’apparition d’un nouveau média, Internet en l’occurrence pour nous, alors que pour Mc Luhan c’était la télévision, n’anéantit pas les media précédents, mais qu’il les absorbe et les transforme en une forme d’art.

Demain, nous disposerons d’un écran nomade à tout faire. Il absorbera Internet, le média régnant actuellement. Nous pourrons consulter des sites, notre messagerie, regarder la télévision, des vidéo, des images, écouter la radio, de la musique, des conférences, lire des livres numérisés, enregistrer et transmettre nos paroles, c’est-à-dire notre pensée. Le message sera le fait de posséder cet outil. Il signifiera que nous sommes modernes, disponibles, branchés ! Mais pour comprendre et assimiler les contenus de ce nouvel outil, pour communiquer de façon efficace avec les autres, sur le plan personnel aussi bien que sur le plan professionnel, il faudra faire des efforts accrus de culture générale. De la même façon que, pour apprécier les œuvres d’art, il faut avoir reçu une éducation. Pour admirer avec profit l’œuvre d’un artiste dans un musée, mieux vaut avoir préparé sa visite.

L’histoire est tragique

Tout de même, quel parcours que celui d’Alberto Moravia ! Quel bel exemple de l’utilité de la lecture pour réussir sa vie !

Né en 1907, le futur écrivain avait sept ans au moment du déclenchement de la première guerre mondiale. À cet âge-là, son esprit a pu conserver les premiers souvenirs, les premières sensations d’un fait historique majeur, la déclaration de la guerre, une guerre que l’on espérait courte, fraiche et joyeuse, la fleur au fusil… En fait, ce sera  un conflit mondial de quatre ans qui aura marqué un XXe siècle tragique, que Moravia s’attachera à décrire toute sa vie. Car la guerre de 1914-1918 aura eu pour conséquence la fin du régime tsariste en Russie et la mise en place du communisme, c’est à dire l’utopie de la création d’un homme nouveau destiné à vivre dans un paradis sur cette terre. Ensuite, le premier conflit mondial, cette catastrophe humaine, suscitera le fascisme en Italie et la tyrannie nazie en Allemagne. Moravia vivra pendant la montée en puissance de ces deux totalitarismes, puis il verra la chute du nazisme et du fascisme italien en 1945, puis la guerre froide entre les deux blocs, l’URSS et les USA.  Car ce sont les français et les anglais, alliés contre les allemands, qui ont fait appel aux troupes américaines pour la première fois en 1917 et qui ont ainsi éveillé ce qui deviendra le géant technologique, économique et politique que nous connaissons. Au moment de sa mort en 1990, Alberto Moravia aura été le témoin de la chute du mur de Berlin. Un événement qui annonçait la fin de l’Union soviétique. La disparition imprévue et impréparée des idéologies criminelles du XXe siècle s’est traduit par un vide périlleux et par un bouleversement économique et politique mondial, dont nous ne savons pas exploiter avantageusement les conséquences.

De nos jours, on pourrait sans doute aller sur la lune rien qu’en escaladant le tas formé par les ouvrages, livres, essais, rapports, articles, publiés depuis cinquante ans et qui étudient les changements politiques, économiques et sociaux. D’innombrables intellectuels ont fait et font encore des diagnostics pertinents, proposent des solutions élégantes et… rien ne se passe. Ou si peu, ou si mal !

Parce que ces experts, ces intellectuels restent dans le domaine de l’abstraction, des mots, donc du malentendu. L’échec s’explique parce que nous essayons de construire notre avenir sans tenir compte des leçons du passé et avec la nostalgie d’une Histoire, un lieu d’affrontement du Bien et du Mal dont nous ne souhaitons garder en mémoire que les aspects positifs.

Pourtant, pour reprendre la formule d’André Malraux, nous avons besoin d’acteurs politiques, économiques et sociaux en qui s’unissent l’aptitude à l’action, la culture et la lucidité. Le personnage principal du roman « Le conformiste » et l’œuvre toute entière d’Alberto Moravia restent encore aujourd’hui d’une confondante actualité.

Où est l’homme ? Où est l’humanisme ? Où est le mérite ? Où est la confiance en notre capacité d’agir dans la dignité ?

Une vertu bien oubliée est à redécouvrir d’urgence. Elle s’appelle l’altruisme.

À bon lecteur, salut !

Bernard Labauge

 

(1) – Référence au chef d’œuvre cinématographique de Jean Renoir, chahuté à sa sortie au cinéma Le Colisée à Paris en juillLe Règle du jeu - Couverture Ret 1939. Il ne deviendra un film culte qu’en 1965, lorsqu’une nouvelle génération de jeunes français décidera de secouer le cocotier d’une France restée archaïque (Cf. H. Mendras. La seconde révolution française : 1965-1984). Le film montre une société en décomposition à la veille d’un deuxième conflit mondial qui allait achever de détruire la civilisation européenne occidentale. La règle du jeu, c’est le jeu social, le théâtre social ou aristocrates et grands bourgeois s’attachent à conserver leurs dérisoires privilèges. Comme dans les romans de Moravia, leurs préoccupations vont essentiellement à l’argent et au sexe, tandis que les pauvres, les domestiques, imitent les comportements et les préjugés de leurs maîtres, avec égoïsme et hypocrisie, dans le contexte d’un antisémitisme qui était, à l’époque, d’une virulence inimaginable ajourd’hui. 

 

(2) – Consulter la remarquable interview d’Alberto Moravia réalisée en 1968 par Radio Canada :

 http://archives.radio-canada.ca/arts_culture/litterature/clips/13804/.

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Lídia Jorge, ou comment la littérature peut changer votre vie…

Carte du PortugalC’est l’histoire d’une petite fille. Elle atterrit sur la planète Terre en 1946 à Boliqueime, dans une famille modeste de la province de l’Algarve, à l’extrême sud du Portugal. Elle s’appelle Lídia Jorge. Elle est élevée par sa mère et sa grand’mère. Car dans cette famille, dans cette région, chose étrange, les femmes vivent comme des veuves. Il n’y a pas d’hommes. Ils sont en mer, à la pêche ou bien ils ont émigré en Europe, en Afrique, en Amérique latine, en Asie, pour gagner l’argent dont ils envoient une partie à leur famille, pour l’aider à survivre et payer les cadeaux pour gâter un peu les enfants.

Lídia avait appris à lire très tôt, grâce à sa grand-mère. Celle-ci  avait hérité de son père une petite bibliothèque qui avait failli être brûlée par dépit, car l’aïeul n’avait laissé que cela, à sa mort. À la veillée, Lídia était chargée de faire, à haute voix, la lecture d’un de ces livres à sa famille. Trop jeune, elle ne savait rien faire d’utile : éplucher les légumes, préparer la cuisine du lendemain, coudre ou broder. Ces lectures n’étaient pas vraiment pour son âge. Il s’agissait de romans traditionnels, violents, mélodramatiques. Et aussi des livres romantiques portugais du XIXe siècle qui, à cette époque, étaient encore à la mode dans les campagnes.

AlgarveLídia Jorge raconte que les histoires de ces livres, qui n’étaient pas du tout pour des petites filles, avaient créé chez elle un certain déséquilibre psychologique. Elle trouvait le monde des adultes affreux et elle avait décidé d’y mettre de l’ordre. C’est pourquoi, elle suivit l’exemple de sa mère. Bien qu’ayant fait très peu d’études, celle-ci tenait un journal intime. Lídia avait donc commencé à écrire de petites pages avec les noms des personnages des livres. Mais elle changeait la fin des histoires, afin que le combat tragique du Bien contre le Mal puisse se terminer de façon un peu plus heureuse.

Adolescente, Lídia constatait l’abandon de l’Algarve. Chaque mois quelqu’un partait, les terres étaient abandonnées, les maisons tombaient en ruines, elles étaient envahies par les animaux sauvages. Elle comprenait qu’il lui faudrait partir, puisque ce qui était sous ses yeux était en train de mourir. Pourtant, la région était superbe. De fait, par la suite, elle s’est transformée avec le tourisme. Mais ce monde nouveau reste fragile, cosmopolite, dépendant de facteurs extérieurs, comme nos vies et nos activités actuelles, plongées dans la mondialisation.

« Le monde n’est qu’une branloire pérenne« . Michel Eyquem de Montaigne écrivait cette phrase (Essais, III-2) à la fin du XVIe siècle, au cours de la Renaissance.

On dirait, dans le français d’aujourd’hui, « le monde est en perpétuel changement« , ce qui fait référence à nos deux précédentes chroniques. Elles évoquaient des hommes lucides et courageux, doués pour écrire, aptes à transmettre leur savoir. Ils voulaient aider leurs contemporains à se montrer vigilants, à comprendre ce qui se passe. D’une part, Henri Mendras dans son célèbre livre, « La seconde révolution française : 1965-1984« , ainsi que les publications de nombreux autres sociologues et essayistes de la seconde partie du XXe siècle. D’autre part, Jules Verne et l’éditeur Hetzel, avec les romans pour la jeunesse, publiés à la fin de XIXe siècle.

Bien avisés, les parents de Lídia lui feront suivre des études afin qu’elle soit suffisamment armée pour ne pas être victime du changement. Après l’enseigne-ment secondaire au lycée de Faro, elle entre à l’Université de Lisbonne et en sort avec un diplôme de « Philologie romane« . Puis elle devient professeur de lycée. Deux événements vont décider de sa carrière d’écrivain. D’abord le choc de 1968 : les idées de liberté qui se déclenchent de part et d’autre du rideau de fer est un mouvement d’émancipation d’une jeunesse qui rejette les archaïsmes. Ce mouvement de révolte fut spectaculaire en Europe occidentale, en France en particulier. Exemple tout proche qui ne pouvait échapper à une jeunesse portugaise enfermée dans la dictature salazarienne. Second choc, elle quitte le Portugal pour suivre son mari dans des guerres coloniales anachroniques. Ces opérations militaires aboutiront à la « Révolution des Œillets« .

Officier de l’armée portugaise, celui-ci avait été affecté, d’abord en Angola en 1968, puis au Mozambique de 1970 à 1974. Fort de son antériorité dans le phénomène de colonisation, le gouvernement portugais pensait pouvoir conserver ses possessions d’Afrique. Certes, les Portugais avaient été les premiers à se lancer au XVe siècle dans les explorations maritimes. Ils cherchaient une nouvelle route des Indes, contournant l’Afrique, pour concurrencer le monopole vénitien sur les épices. Pourtant, le processus de décolonisation, apparu à la fin de la première guerre mondiale (le président Wilson avait proclamé dès 1919 « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes« ), s’était peu à peu imposé après 1945. À son arrivée en Afrique, Lídia Jorge ressent le contraste violent et terrible entre sa perception de l’Afrique, continent puissant et merveilleux, lieu de rêve où son père et son grand-père avaient vécu dix ans et l’Afrique coloniale, lieu de guerre avec ses atrocités. 

Le rivage des murmures

Car, malgré la tentation du « Pouvoir blanc« , exemple donné au Mozambique par ses puissants voisins, la Rhodésie et l’Afrique du Sud, elle avait tout de suite compris que la cause était perdue, que de jeunes portugais et de jeunes africains allaient mourir absolument pour rien. Bien qu’étant une grande lectrice d’auteurs américains, français, anglais, sud-américains…, Lídia Jorge se rendait compte que tout ce qu’elle avait lu ne ressemblait pas à ce qu’elle était en train de vivre.

C’est la raison pour laquelle elle était poussée à écrire : témoigner. Pour que son expérience des rapports humains marqués par la guerre, ses violences et ses injustices, ne reste pas enfouie dans son esprit, mais soit partagée avec d’autres et que cette page d’histoire ne tombe pas dans l’oubli. Son roman, publié au Portugal en 1988, sera publié en français un an plus tard, sous le titre « Le rivage des murmures« . Il sera traduit dans de nombreuses langues.

Philologie romane. La philologie est l’étude, par l’analyse critique des textes, des langues issues du latin populaire, parlé après la chute de l’Empire romain d’Occident. Les langues romanes couvrent une grande partie de l’Europe occidentale de la Wallonie, au Portugal, de l’Espagne à l’Italie et en Roumanie. Cette discipline s’appuie et contribue à la connaissance d’autres domaines comme la grammaire, la linguistique, mais aussi l’étymologie, la stylistique, l’histoire et l’histoire des religions, l’archéologie… La philologie est un enseignement complet, puissant facteur de culture, d’ouverture aux sciences humaines et à la pratique érudite des langues.

Le « Rivage des murmures » s’ouvre sur une nouvelle d’une trentaine de pages, « Les sauterelles« . Elle est supposée être rédigée par un journaliste qui décrit le racisme de la société coloniale mozambicaine, à l’occasion d’une noce qui se déroule sur la terrasse d’un grand hôtel qui fait face à l’Océan Indien. Le soir, le marié disparait. Une fatale conception de l’honneur militaire lui a fait se tirer une balle dans la tête, à la roulette russe.

Cette nouvelle est commentée vingt ans plus tard par une femme. Elle n’est autre que la jeune mariée d’alors. Elle interpelle l’auteur de la nouvelle, complète et corrige sa vision, donne sa version des événements. Elle évoque cette période où elle a vu la guerre coloniale transformer son jeune époux, auparavant un doux et timide étudiant en mathématiques, en un sous-lieutenant fanatique, double de son capitaine, brandir une tête de Noir au bout d’une pique.

Par un procédé évocateur et puissant de « mise en abîme« , comme au cinéma : le film dans le film, Lídia Jorge invite le lecteur à se placer en observateur captivé, à côté de la narratrice, pour recueillir des fragments de mémoire, pour rassembler des bribes de témoignages. Ainsi, progressivement, le lecteur approche d’une vérité fragile et relative, qui n’appartient plus à personne puisqu’elle est la somme des multiples perceptions venant des autres.

Le succès du « Rivage des murmures » a conféré à Lídia Jorge une place éminente dans la littérature portugaise contempo-raine. En 1980, elle avait déjà publié un livre remarqué « La journée des prodiges« , la transformation de la société portugaise dans la démocratie, puis décrit l’indifférence entre les générations et la perte de repères dans « Le jardin sans limite » (1995), l’obsession de l’argent et les intérêts sordides d’une classe dirigeante qui a survécu à tous les changements politiques, « Le vent qui siffle dans les grues » (2002). En 2007, « Nous combattrons l’ombre » dénonce les trafics de drogue, d’armes, d’êtres humains qui prospèrent dans le chaos d’un monde sans scrupules, sourd à l’indignation des gens honnêtes.

Nous combattrons l'ombreDans un entretien réalisé à Paris le 22 mars 2004, à l’occasion de son livre « Le vent qui siffle dans les grues« , Lídia Jorge déclare : « C’est vrai que nous sommes dans une époque postcoloniale et tout ce qu’on ressent aujourd’hui, le manque de dialogue, l’incapacité à communiquer, ce sont les complexes des pays qui ont eu des rapports colonialistes auparavant. La particularité du Portugal, c’est que nous avons une bonne opinion de nous-mêmes. Nous avons l’idée que nous ne sommes pas racistes, pas xénophobes, que nous avons la communi-cation facile, que nous avons fait un empire de métissage, que nous sommes naturellement métis. Mais cela, c’est à la surface. Le Portugal est un pays qui garde ses secrets, ses crimes, qui sait bien gérer le silence. C’est peut-être le sujet de tous mes livres : il y a un scandale, comment faire pour l’anéantir, le cacher, faire comme si tout était normal« .

Chers lecteurs, vous pouvez maintenant relire cette chronique en remplaçant Portugal par France et Mozambique par Algérie. Une tragédie qui, elle aussi, a entraîné la chute d’un régime et la naissance d’un autre. Voilà sans doute pourquoi l’émigration portugaise, multipliée par dix dans les années 1960 et forte aujourd’hui de quelque 800 000 personnes, s’est intégrée en France, sans difficultés majeures. Sans doute parce que les pages de l’histoire coloniale de nos deux pays, nos préjugés, nos tabous, nous rapprochent. Le journaliste italien Alberto Toscano, fin connaisseur de la France, dans son récent livre « Critique amoureuse des Français« , nous donne ce conseil : « Vous vivrez mieux le jour où vous vous sentirez libre d’être normaux« .

France Culture. La présente chronique s’inspire de l’émission radiophonique hebdomadaire de Francesca Isidori : « Affinités électives« . Elle recevait Lídia Jorge le 27 mars 2008, pour un entretien d’une heure, à l’occasion de la parution de la traduction française de son livre « Nous combattrons l’ombre« . Une révolution technique permet désormais de réécouter les émissions et de les enregistrer sur ordinateur, par « Podcast« , sans être à l’écoute au moment de la diffusion. C’est très utile pour écouter des émissions où des auteurs et des intellectuels intervien-nent à propos des préoccupations actuelles et pour extraire le meilleur des leçons des professeurs du Collège       de France ou des conférences de l’Université de Tous Les Savoirs (UTLS).

Voila comment la littérature peut changer notre vie. Soyons de grands lecteurs. Montrons l’exemple à nos enfants, à nos petits-enfants. Car ils se sentiront obligés de transmettre ce qu’ils auront appris et compris, obligés de parler, d’écrire et d’agir dans un « esprit de résistance« , avec l’ambition et le talent pour « faire de la littérature« . C’est-à-dire créer une forme supérieure de communication, une œuvre d’art. Parce que seule la beauté peut répondre au chaos du monde.

À bon entendeur, à bon lecteur, salut !

Bernard Labauge